Si la comédie est le genre de prédilection de Michel Hazanavicius, il a plus d'une fois démontré son aisance lorsqu'il s'agit de jouer avec les formats et les registres, allant même jusqu'à réaliser un vrai long métrage muet au début des années 2010, qui lui a valu un Oscar de la Meilleure Réalisation et du Meilleur Film.
Doit-on alors s'étonner de le voir signer un film d'animation ? Pas vraiment. Surtout qu'il nous révèle avoir travaillé sur un autre projet de ce style, "plus famille et déconnant, plus comédie", avant de se tourner vers l'adaptation de La Plus précieuse des marchandises, sur laquelle il s'est engagé avant la sortie du roman de Jean-Claude Grumberg.
C'était donc l'occasion de lui demander en quoi consiste le poste de réalisateur sur un film d'animation, car les choses paraissent plus floues qu'avec les prises de vues réelles, sur un plateau : "Je pense que cela dépend complètement d'où vous venez, de ce que vous voulez faire", nous dit-il. "Là, en dehors d'écrire l'adaptation, j'ai dessiné les personnages, mais ce n'est même pas ça la réalisation."
"Vous faites le découpage, c'est vous qui conduisez le récit, qui faites en sorte que tout soit cohérent. Vous décidez avec des collaborateurs : là, notamment, Julien Grande et Maëlle Le Gal sur les décors. Puis ce même Julien Grande sur la direction artistique, sur la lumière, sur la couleur… Vous définissez avec vos collaborateurs l'identité du film, ce que ça doit être. Avec le storyboard, le découpage, les cadres, le jeu."
"Sur un film comme celui-ci, nous n'avons pas des acteurs, mais des personnages : comment ils doivent se comporter, le timing de chaque regard… C'est vous qui décidez de tout cela. J'avais des gens à Angoulême et d'autres à Paris, donc j'étais sur Zoom tous les jours à faire refaire des choses à chacun des animateurs, à chaque étape, sur chaque décor. Vous devez tout le temps valider ou faire refaire des choses jusqu'à ce que l'image, que toutes ses composantes correspondent à l'histoire que vous voulez raconter, à la manière dont vous voulez qu'elle se raconte."
"Vous définissez avec vos collaborateurs l'identité du film, ce que ça doit être"
"Vous dirigez les aussi acteurs qui font les voix, vous collaborez avec le compositeur sur ce qu'on appelle le spotting, c'est-à-dire à quel moment une musique doit commencer, à quel moment elle se finit et ce qu'elle doit dégager. Là j'ai eu la chance de travailler avec Alexandre Desplat, donc on est sur du très haut niveau. Mais ensemble on se dit : est-ce que ce type d'arrangement ça va ? Ce type d'instrument ? Est-ce qu'on n'est pas trop Mitteleuropa ? Est-ce qu'on veut être plus neutre ?"
"Vous êtes un peu à tous les postes, à tout moment. Et vous pouvez exécuter un petit peu : sur les personnages, j'ai fait beaucoup d'allers-retours en exécutant, en mettant la main à la pâte sur le dessin, mais beaucoup moins sur le décor, sur la couleur. Mais là-dessus, vous travaillez avec des chefs de poste, comme sur un film en prises de vues réelles. Ce n'est pas vous qui construisez les décors, mais vous dirigez, vous donnez la direction, vous demandez ce que vous voulez Ce n'est pas vous qui faites les costumes, mais vous aidez, avec le chef de chaque département, à créer une direction qui soit homogène."
Et cette idée d'être à tous les postes a d'autant plus de sens ici que Michel Hazanavicius est aussi crédité comme le monteur du film : "Oui. Mais dans mon procédé d'écriture, il y a évidemment le scénario et le tournage, mais également le montage. En général, dans un film d'animation, il n'y a pas vraiment de montage car vous travaillez pas petits bouts. C'est très compliqué, très long de faire un plan animé, et il n'y a pas de rushes. Pas de avant - après. La notion de montage est un peu floue."
"Ce que j'ai fait là c'est que, pendant quinze jours, j'ai tourné l'histoire avec des acteurs dans un théâtre qui était à côté du bois de Vincennes. On a aussi eu de la forêt, et on avait un peu d'extérieur, un peu d'intérieur. J'ai ainsi tourné toute l'histoire, ce qui m'a permis de monter. Sans les décors, les figurants ou les autres personnages, donc quelque chose d'extrêmement basique, mais ça m'a permis de créer l'écriture cinématographique du film, de la finir et d'avoir ce que moi, je considérerais comme de l'écriture, c'est-à-dire le scénario, le tournage et le montage."
"Ça m'a permis de faire des essais et le film n'était pas regardable en soi, et nous sommes allés très vite, mais j'ai pu aller au bout de cette écriture. J'ai tout storyboardé, tourné et monté. Et à partir de montage de 1h15 - durée à laquelle nous avions droit pour des questions économiques, on a fait un storyboard plus proche de ce qui existe en animation, fait par des animateurs. Ce n'est pas un mémo, car il donne des indications pour les animateurs, les décorateurs…"
"J'ai tourné l'histoire avec des acteurs dans un théâtre"
"J'ai donc travaillé avec le storyboardeur sur chaque plan, autour de la durée, du mouvement de l'acteur… C'est très laborieux, très long à faire, mais vous partez de zéro, que ce soit au niveau de l'image ou du son. Dans un film en prises de vues réelles, si la porte est ouverte et qu'il y a un coup de vent, il y a un coup de vent. Si un acteur a un truc, on le garde. Pareil si un nuage passe. Là c'est très différent. Tout est un choix, tout est décidé et dessiné."
"Et dans le son, c'est pareil : je n'ai pas de son de départ. Tout doit être créé, et pas seulement les voix : l'environnement, le bruit d'un train, le bruit d'un oiseau, le bruit d'un enfant… C'est assez passionnant. Vous partez vraiment de zéro. Donc le travail de réalisateur est beaucoup plus laborieux, beaucoup plus étendu, je dirais."
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 24 mai 2024 - Cadre et montage vidéo : Mehdi Delavant