Mon compte
    C'est l'un des plus grands documentaires de tous les temps : 42 ans après sa sortie, il reste un chef-d'oeuvre indépassable
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Débutée en 1982 par Koyaanisqatsi, chef-d'oeuvre du cinéma expérimental produit par George Lucas et Francis Ford Coppola, la trilogie "Qatsi" est une oeuvre aussi extraordinaire que révolutionnaire, sans équivalent dans l'Histoire du cinéma.

    Powaqqatsi, Koyaanisqatsi, Naqoyqatsi. Des mots pas loin d’être imprononçables, en plus d’être un cauchemar à orthographier proprement. Et qui vous assureraient au passage un carton plein au Scrabble.

    La trilogie des films "Qatsi" comme on la surnomme, est surtout l’œuvre d’un homme assez secret, un artiste et activiste singulier. Un ancien séminariste, fondateur en 1972 de l’Institute for Regional Education de Santa Fe, association caritative consacrée au développement des médias, aux arts, à l'organisation de la société et à la recherche : Godfrey Reggio.

    Des œuvres qui, si elles sont très loin de parler au plus grand nombre, sont pourtant nimbées d’une aura de films cultes. C’est qu’elles comptent notamment parmi leurs inconditionnels des cinéastes plutôt aguerris. On l’oublie aussi un peu vite, mais entre deux Star Wars, George Lucas mit aussi la main au portefeuille pour produire les œuvres de Reggio (tout comme il le fit pour le Kagemusha de Kurosawa), ainsi  que Francis Ford Coppola.

    Du cinéma expérimental avant tout

    Classés par commodité au rayon "documentaire", ces films ne sont pourtant pas vraiment des documentaires au sens formel du terme.  Disons plutôt qu’ils seraient plus à l’aise au rayon expérimental. Aucune voix off, des films muets, seulement accompagnés par de puissants Scores qui subliment ces albums d’images.

    Pour sa trilogie "Qatsi", Reggio s’était d’ailleurs adjoint les services d’un immense compositeur : Philip Glass, dont les partitions ont aussi beaucoup fait pour la renommée de ses films. C'est un ami commun qui les a présenté pour leur première collaboration, sur Koyaanisqatsi.

    Lorsque Reggio demanda au compositeur s'il pouvait écrire la musique du film, celui-ci lui répliqua : "je ne fait pas de musique de film". Face à l’insistance de Reggio, qui lui montra des images de son film, il se lança dans l’aventure. Il composera ultérieurement la musique de tous les autres films de Reggio. Le résultat, hypnotique et fascinant, révèle une alchimie parfaite et fusionnelle entre la musique et l'image.

    De sublimes albums d'images, mais pas seulement

    Nous lâchions plus haut le qualificatif d’ "albums d’images". Mais ce serait en vérité bien trop réducteur, car ces œuvres sont plus que cela. Ce sont des collages, à la manière de gigantesques toiles, où s’entrechoquent des images hallucinantes, mélangeant Slow Motion (Koyaanisqatsi est d'ailleurs un des premiers films à utiliser la technique dite du "Time lapse"), images générées par ordinateurs, Found Footage, films publicitaires, etc…dans lesquels l’Homme et son devenir est au cœur des préoccupations des deux metteurs en scène.

    Son rapport à la nature et au temps qui passe. La vie rythmée par notre dépendance grandissante à la technologie. L’opposition entre l’hémisphère Nord et le Sud. Les inquiétudes et la transition d’un monde qui devient de moins en moins naturel au profit de l’artificiel. Les ravages de l’urbanisme mal contrôlé et la pression de la vie citadine.

    Golan-Globus Productions

    L’industrialisation. La vie des peuples vivant en harmonie avant qu’ils n’entrent en contact avec la technologie et n’entraîne la destruction de cultures. La surproduction de notre société de consommation. La toute-puissance de la publicité et le pouvoir de l’image… Et encore, ici, on ne cite qu’une partie des thèmes abordés.

    Dans tous les cas, des préoccupations et thèmes majeurs plus que jamais de notre temps, et pour les années à venir. C'est dire si le propos était révolutionnaire lorsque Koyaanisqatsi est sorti en salle au tout début des années 1980.

    "Pour moi, l'événement majeur, peut être le plus important de toute notre Histoire, qui n'a rien de comparable dans notre passé, [...] est la transition de toute la nature ou de l'environnement naturel en tant que base de notre vie [...]

    La politique, l'éducation, la structure financière, la structure de la nation, le langage, la culture, les religions... Tout cela existe au sein de la technologie. Ce n'est pas le fait que nous utilisons la technologie; nous vivons la technologie. Elle est devenue l'air que nous respirons; nous ne sommes désormais plus conscient de sa présence".

    Golan-Globus Productions

    Une vie qui se désagrège, la guerre comme un moyen de survie

    En fait, c’est là que les titres de la trilogie "Qatsi" prennent sens. Tiré de la langue Hopi, Koyaanisqatsi signifie "la vie qui se désagrège, tumultueuse, en déséquilibre. Un état d’existence  qui exige un autre mode de vie".

    À l'origine d'ailleurs, Godfrey Reggio ne voulait pas donner de titre à son film parce que "le langage n’est plus capable de décrire le monde dans lequel nous vivons", mais cela n’était pas possible pour des raisons légales. Il choisit un titre sans bagage culturel, issu d’une culture orale, pour offrir une vision différente des choses et rendre hommage à une langue "plus puissante dans sa capacité à décrire son environnement".

    Quid du sens du titre Powaqqatsi ? Il s’agit du nom donné par les Indiens Hopi d’Amérique du Nord a une manière d’être, une entité, qui se nourrit des forces vitales des autres êtres dans le but de favoriser sa propre existence.

    Golan-Globus Productions

    Quant à Naqoyqatsi, c’est la prophétie la plus pessimiste : c’est la violence de la civilisation, la guerre comme un moyen de vivre et de survie, où les civilisations s’entretuent. Autant dire qu'à la lumière des dramatiques actualités qui rythment le quotidien de l'humanité depuis de nombreuses années, Godfrey Reggio visait juste avec la thématique de son troisième et dernier volet de sa trilogie Qatsi...

    L'oeuvre du temps

    Dans tous les cas des thèmes brassés avec une intelligence confondante, et dont la puissance du propos est rendu intelligible par la seule force des images et le génie du montage, souligné par une BO littéralement hypnotique. Des images et moments rares, forcément précieux. Car derrière ces oeuvres, il y a des trésors de patience. Beaucoup de patience. Des années même.

    "Je filmais tout ce que je croyais bon pour le film, même si ce n'était pas prévu. Des levers de soleil aux façades d'immeubles, tout y passait" racontait Ron Fricke, le chef opérateur de Reggio, qui partira faire cavalier seul plus tard avec son film expérimental Baraka.

    Reggio quant à lui ne tarissait pas d'éloges concernant son directeur de la photo. "j'étais émerveillé par sa motivation, son attention fanatique aux détails, un maître indiscutable du plus haut niveau. [...]

    C'était un original, un artiste, un peintre, avec un sens inné de la composition avec les couleurs, un ingénieur mécanicien génial, mais ajoutez à cela la brillance d'un oeil artistique, [...] la sensibilité de quelqu'un d'extrêmement discipliné, et vous avez ce monstre cinéaste et réalisateur. [...] Il s'est énormément impliqué. Sans l'âme de Ron Fricke, ce film n'existerait pas".

    Miramax Films

    Godfrey Reggio qui bat d'ailleurs à plate couture Stanley Kubrick qui mettait de plus en plus de temps à tourner entre deux films. Reggio, lui, n'a réalisé que quatre documentaires en près de 35 ans; le dernier avant Visitors remontant à 2002 avec Naqoyqatsi.

    On peut bien entendu rester totalement hermétique à ces oeuvres. Pourtant, dans leurs formes et leurs essences, ces films représentent ce que l'on appelle du "pur cinéma". Un cinéma viscéral et sensoriel, qui embrasse une certaine forme de perfection, d'harmonie. Des oeuvres souvent copiées, mais jamais égalées. A vous de les découvrir.

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top