De la théorie à la pratique : ces critiques de cinéma devenus réalisateurs
samedi 2 avril 2011 - 06h00

L'auteur des "Yeux de sa mère", Thierry Klifa, fut journaliste à Studio. De Godard à Christophe Gans, ils sont nombreux à être passés de la théorie à la pratique... Revue de détail. Dossier réalisé par Julien Dokhan et Laetitia Ratane.

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Avant la Nouvelle-Vague, des critiques de cinéma sont passés de la théorie à la pratique, Louis Delluc le premier! Figure fondatrice de la critique de cinéma, c'est lui qui invente le mot "cinéaste" et substitue aux idées générales émises jusque-là des jugements qui vont droit à l’essentiel, perspicaces, techniquement clairs et précis, parfois ironiques, toujours passionnés. Rédacteur en chef de Film et fondateur de Cinéa, il se montre très critique envers les films d’art et d’actualité de l’époque (les feuilletons de Louis Feuillade notamment) et défend activement le cinéma de D.W. Griffith, Douglas Fairbanks, Cecil B. DeMille et Charlie Chaplin, dont il est un inconditionnel. Son amour du cinéma l’incite à en faire : chef de file de l’avant-garde impressionniste des années vingt, il réalisera sept courts métrages dont Fièvre et La Femme de nulle part, mélangeant le fantasme et le réel et mettant en avant le travail plastique sur l’image, chargée de développer la psychologie des personnages aux dépens de l’action.

 

Louis Delluc


 


Dans la lignée du mouvement d’avant-garde des années 20, deux autres critiques de cinéma se distinguent : René Clair et Germaine Dulac. Avant de réaliser ses vingt-six films, le premier a tenu une chronique cinématographique régulière chez Paris-Journal puis Théâtre et Comedia illustrés, réunissant certains de ses textes dans un ouvrage acide, intitulé Réflexion faite, notes pour servir à l’histoire de l’art cinématographique de 1920 à 1950. Rêvant d’être romancier, il devient acteur chez Louis Feuillade puis assistant des films muets de Jacques de Baroncelli. Aux commandes du très avant-gardiste Entr'acte, il témoigne de son goût du fantastique à la française avec le surréaliste Paris qui dort. Son film parlant Sous les toits de Paris marquera l’histoire du cinéma moderne par son travail sur le son, monté à contretemps de l’image. Au fil du temps, des films plus grand public comme La Beauté du Diable ou Les Grandes manoeuvres l’imposeront comme une valeur sûre du cinéma français.

Deuxième femme du cinéma français après Alice Guy, Germaine Dulac est une critique défendant aussi bien le cinéma commercial que celui d’avant-garde. La Souriante Madame Beudet et le controversé La Coquille et le clergyman (d’après Antonin Artaud) seront emblématiques de sa quête d’un "cinéma pur" et expérimental, explorant les possibilités visuelles du film, par l’usage de ralentis et d’accélérés ou par l’utilisation des flous, surimpressions et autres procédés esthétiques.

 

Germaine Dulac

 

 

 

A l’aube des années 30, Marcel Carné est critique pour Ciné-Magazine où il met en avant le cinéma de King Vidor, propose une étude de l’évolution du film policier américain ou analyse minutieusement les phases de fabrication d’un film. Très vite "las de parler du travail d’autrui", il se rend compte qu’ "être critique (…) c’est vivre dans et de la sueur des autres". Assistant de René Clair, il s’impose en tant que réalisateur aux côtés de son scénariste fétiche Jacques Prévert, dans des chefs d’œuvres tels que Drôle de drame, fantaisie policière burlesque, Le Quai des brumes à l’origine du mouvement réaliste poétique, ou Les Visiteurs du soir, emblématique du cinéma fantastique français.

 

"Le Quai des Brumes" de Marcel Carné

 

 

 

Fondateur des Cahiers du film, Marcel Pagnol est vite lassé du métier de critique dont il montre les limites dans un livre programme, intitulé Critique des critiques. A l’écrit, il s’insurgeait contre les cinéastes du muet. A l’écran, il apprendra seul, s’imposant avec l’arrivée du parlant grâce à des œuvres régionalistes cultivant l’accent du pays. L’adaptation de Marius, premier volet de sa trilogie Marius, Fanny et César, imposera son talent et le jeu d’acteur de Raimu. Rossellini lui attribuera l’origine de son néoréalisme, avouant avoir tourné Rome ville ouverte après avoir vu La Fille du puisatier.

 

Raimu dans "Fanny"


 

 

À l’écrit, Marcel Achard défendra le jeu naturel du cinéma américain, par opposition à celui trop emprunté du cinéma français. Prenant très tôt parti pour le cinéma parlant, il sera le scénariste de Julien Duvivier (La Femme et le pantin), Marcel Carné (Le Pays d'où je viens) et Max Ophüls (Madame de..., dont il est également le dialoguiste). Il a réalisé lui-même des longs métrages parmi lesquels Jean de la Lune, mettant en scène Danielle Darrieux.

 

C’est l’esprit d’indépendance et l’attachement à la technique qui feront de Jean Dréville un critique reconnu. Après avoir fondé trois revues, il réalisera une quarantaine de films tous plus différents les uns des autres, tels que La Cage aux rossignols ou Les Casse-Pieds, prix Louis-Delluc et Grand Prix du cinéma français.

 

Jean Dréville

 

 


Plus jeune journaliste de France, Edmond T. Greville publie ses premières critiques dans Le Soir avant d’être le secrétaire de rédaction d’un mensuel d’avant-garde Jabiru, dirigé par Georges Auriol. Passionné de Griffith, Delluc, Buñuel, Murnau ou Lang, il assiste Abel Gance avant de réaliser des longs métrages impétueux ( tels que Le Port du désir ) à l’atmosphère souvent lourde et chargée d’érotisme.

 

Edmond T. Greville

 

 

 

Certains critiques de cinéma se sont également illustrés brillamment en tant que scénaristes et dialoguistes. Grand critique chez Cinémonde, ami et spécialiste de Chaplin et Orson Welles, Maurice Bessy a été scénariste sur Voici le temps des assassins de Duvivier. Critique féroce du Canard Enchainé ou de Cinémonde, Henri Jeanson mettra sa verve au service de la noirceur du même réalisateur (Pépé le Moko), parmi d’autres grands cinéastes tels que Henri Verneuil ou Gérard Oury. Romancier et journaliste, René Barjavel écrit sur le cinéma dans Carrefour et Paris Cinéma avant de signer également des scénarii et dialogues de films pour Verneuil (Le Mouton à cinq pattes) et Duvivier (Chair de poule). La plume acérée de François Chalais s’est mise au service du scénario du Dortoir des grandes d’Henri Decoin. Journaliste de la rubrique cinématographique de Paris-Midi et France-Soir, Roger Vailland affiche ses goûts pour le cinéma populaire et surtout américain avant d’écrire entre autres pour Roger Vadim et René Clément. Enfin Boris Vian, écrit des scénarii (dont Zoneilles, en collaboration avec Raymond Queneau et Michel Arnaud) et fait de la figuration pour Pierre Kast (Un amour de poche) avant d’être critique de cinéma, ironique envers John Wayne ou Yves Robert.

 

Henri Jeanson

 

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Commentaires

  • Leon9000

    L'avantage des critiques de cinéma qui passent à la réalisation, c'est qu'ils savent souvent bien mieux présentés leurs films avec des mots que les réalisateurs traditionnels (normal c'était leur métier pendant longtemps). Christophe Gans est vraiment captivant à cet égard.

  • gimliamideselfes

    Beaucoup plus intéressant que d'habitude

  • Aladdyen

    genail comme dossier

  • twingolot

    Chez les Américains, il me semble que Paul Schrader était aussi critique de cinéma lorsqu'il a commencé à écrire les scénarios de Yakuza et Taxi Driver. Il est passé à la réalisation un peu plus tard. Néanmoins il est vrai que c'est plus en tant que scénariste de quelques films de Scorsese qu'en tant que réalisateur qu'il s'est distingué.

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