De la théorie à la pratique : ces critiques de cinéma devenus réalisateurs
samedi 2 avril 2011 - 06h00

L'auteur des "Yeux de sa mère", Thierry Klifa, fut journaliste à Studio. De Godard à Christophe Gans, ils sont nombreux à être passés de la théorie à la pratique... Revue de détail. Dossier réalisé par Julien Dokhan et Laetitia Ratane.

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Quand on pense à des critiques de cinéma passés à la réalisation, l’exemple qui vient immédiatement à l’esprit est celui de la Nouvelle Vague. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’histoire ne débute pas aux Cahiers du cinéma, mais dans une revue baptisée La gazette du cinéma. Cette  publication était au départ un simple bulletin du ciné-club du Quartier latin, animé par Eric Rohmer. Celui-ci dirige le journal, qui accueillera Jacques Rivette et Jean-Luc Godard, mais aussi Alexandre Astruc ou Jean Douchet. Ces très jeunes cinéphiles en colère s’opposent à des critiques à peine plus âgés, issus de la Revue du cinéma. C’est dans cette Gazette que les Jeunes Turcs commencent à se lancer dans la défense du cinéma d’Alfred Hitchcock, encore méprisé. Après la fin de la Gazette, qui a cessé sa parution au bout de quelques numéros seulement, Eric Rohmer rejoint les Cahiers du cinéma (dès le troisième numéro), bientôt suivi de Godard, Chabrol et Rivette. Ils y retrouvent aussi leur ami François Truffaut, un des protégés d’André Bazin, l’un des créateurs de la revue.

 

La couverture du premier numéro des Cahiers du Cinéma

 

Rivette est un grand défenseur de Rossellini (qui réalisa comme lui une Jeanne d'Arc…), mais aussi de Hawks ou Preminger. Moins productif (il se rattrapera avec la pellicule...), Claude Chabrol est avant tout un spécialiste de Hitchcock, une évidente influence pour le futur auteur du Boucher ou du Cri du hibou. En 1957, il cosigne un ouvrage de référence sur le maître du suspense, avec Eric Rohmer. Celui-ci est un grand théoricien, qui écrit aussi bien sur Jean Renoir que sur Murnau -il est l'auteur d'une thèse sur l'organisation de l'espace dans le Faust de MurnauGodard défend les comiques américains, notamment Frank Tashlin (ce goût pour le burlesque sera une constante méconnue de son cinéma, de Une Femme est une femme à Soigne ta droite). Egalement collaborateur de la revue Arts, Truffaut écrit les textes les plus violents, parfois sous le pseudonyme de Robert Lachenay, un de ses amis -ce sera aussi le nom du personnage principal de La Peau douce...

 

 

Aîné de la bande, le très respecté Eric Rohmer est le premier à être passé de la théorie à la pratique, dès 1950, avec le court métrage Journal d'un scélérat. En 1954, Godard tourne, en Suisse, Operation beton, documentaire sur la construction d’un barrage : c’est son tout premier film. La même année, François Truffaut signe un article devenu célèbre, « Une certaine tendance du cinéma français », attaque en règle des films de la « Qualité française », ceux de Jean Delannoy, Claude Autant-Lara ou Yves Allégret. Ses petits camarades et lui sont unis par leur rejet de ce cinéma jugé paresseux et daté… mais aussi par leur volonté de prendre la place de ces cinéastes établis !

 

Les "400 coups" vus par... André Dussollier

 

 

 

Solidaires, les Jeunes Turcs le sont aussi lors de leurs premiers tournages. Truffaut réalise en 1955 son premier court-métrage, Une visite, dont le chef-op est Rivette… qui tourne lui-même en 1956 son premier court, Le Coup du berger, dans l’appartement de Claude Chabrol, qui le finance grâce à un héritage de sa première épouse. Cet argent permet à celui-ci de produire son propre coup d'essai, Le Beau Serge, qui sort en 1958. Le film récolte un beau succès, mais c’est le triomphe, à Cannes en 1959, des Quatre cents coups de Truffaut, qui marque l’explosion de la Nouvelle Vague. Un brin jaloux de la réussite de son meilleur ennemi, Godard se dépêchera de dégainer à son tour : ce sera A bout de souffle, sorti en 1960.

 

Claude Chabrol juge ses premiers longs métrages

 

 


Au fil des décennies suivantes, les cinq metteurs en scène, qui mettront fin,plus ou moins rapidement, à leur activité de critique une fois passés « de l’autre côté », marqueront de leur empreinte le cinéma français. La renommée de leurs films, au-delà des frontières hexagonales, se révèlera même un peu encombrante, aux yeux des cinéastes de la génération suivante, comme Jacques Doillon ou Claude Miller. On reprochera à certains de s’être adoucis, voire compromis, depuis leur passage derrière la caméra : c’est le cas de Truffaut, qui dénonce dans ses textes l’académisme des films français de son époque, et se verra lui-même taxé de conformisme dans certaines de ses adaptations littéraires, comme Une Belle fille comme moi. Mais s’il est vrai que le critique à la dent dure est devenu un cinéaste très populaire, voire consensuel, son œuvre reste extrêmement personnelle, jusque dans ses films les plus grand public. Le même type de reproche visera Claude Chabrol, qui se plait à multiplier les tournages, au risque du déchet –un risque qu’il a toujours revendiqué. Interrogé en 2007 par AlloCiné sur le bilan de la Nouvelle Vague, Eric Rohmer déclarait : "Je pense qu’en fin de compte, on n’a pas tellement trahi notre propos initial ni les uns ni les autres. Godard n’est pas allé vers le commerce, mais plutôt au contraire vers la surenchère. Rivette et moi-même non plus. J’ai fait des films avec la même rigueur, dans les sujets, comme dans la façon de tourner : même mes films à grand spectacle ne sont pas démagogiques, et je n’ai pas jeté d’argent par les fenêtres."

 

Eric Rohmer commente une photo de son film "Les Rendez-vous de Paris"

 

 

 

Voir notre dossier sur les 50 ans de la Nouvelle Vague

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Commentaires

  • Leon9000

    L'avantage des critiques de cinéma qui passent à la réalisation, c'est qu'ils savent souvent bien mieux présentés leurs films avec des mots que les réalisateurs traditionnels (normal c'était leur métier pendant longtemps). Christophe Gans est vraiment captivant à cet égard.

  • gimliamideselfes

    Beaucoup plus intéressant que d'habitude

  • Aladdyen

    genail comme dossier

  • twingolot

    Chez les Américains, il me semble que Paul Schrader était aussi critique de cinéma lorsqu'il a commencé à écrire les scénarios de Yakuza et Taxi Driver. Il est passé à la réalisation un peu plus tard. Néanmoins il est vrai que c'est plus en tant que scénariste de quelques films de Scorsese qu'en tant que réalisateur qu'il s'est distingué.

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