De la théorie à la pratique : ces critiques de cinéma devenus réalisateurs - Page 6

Du côté de la revue Positif, soeur ennemie des Cahiers du cinéma, le bilan est forcément plus maigre, mais pas inexistant… Une des plumes les plus célèbres et féroces de la revue est Robert Benayoun, membre du mouvement surréaliste, qui admirait autant les burlesques américains (de Buster Keaton à Jerry Lewis) qu’il détestait Godard ! Il a réalisé deux longs métrages qui reflètent sa fantaisie : Paris n'existe pas et Sérieux comme le plaisir. Ces deux films sont bien connus des fans de Serge Gainsbourg, qui fait l’acteur pour l’occasion… Avant de se faire connaître comme écrivain (L’Adversaire, D’autres vies que la mienne) puis réalisateur (Retour à Kotelnitch, La Moustache), Emmanuel Carrère a lui aussi été critique à Positif, ainsi qu’à Télérama. On lui doit également un ouvrage consacré à Werner Herzog. Spécialiste du cinéma hollywoodien, N.T. Binh a consacré à un documentaire à… Claude Sautet, qui a eu les honneurs d’une sortie en salles en 2002.

Bande-annonce de "La Moustache" d'Emmanuel Carrère

La Nouvelle Revue Française a publié des textes de Jean-Claude Guiguet, le futur auteur du Mirage ou des Passagers. Autre titre prestigieux, Le Magazine Littéraire a accueilli Nelly Kaplan, l’auteur de La Fiancée du pirate avec Bernadette Lafont. Elle avait commencé comme critique dans son pays natal, l’Argentine. Elle fait figure d’exception, car, longtemps, la critique de cinéma, tout comme la réalisation de film, furent des activités très majoritairement masculines. Citons aussi Claire Clouzot, journaliste à Combat et au Matin de Paris, qui a réalisé en 1980 L'Homme fragile, avec dans le rôle principal un Richard Berry encore peu connu.

Bande-annonce de "La Fiancée du pirate"

Discrètement mais sûrement, Philippe Collin a mené de front les deux carrières : connu pour ses articles dans Elle et ses interventions radiophoniques au Masque et à la plume, ce dandy passé par l’IDHEC a été l’assistant de Louis Malle (Le Feu follet), Alain Cavalier (Le Combat dans l'île), Eric Rohmer (Le Signe du lion). Il a aussi réalisé trois longs métrages très personnels, Le Fils puni, Les Derniers jours d'Emmanuel Kant et, dernièrement, Aux abois, avec Elie Semoun. Alain Riou, son compère au Masque et la plume, journaliste au Nouvel Observateur, y est allé progressivement : d’abord scénariste (sur Le Léopard avec Claude Brasseur ou Pétain de Jean Marboeuf), il réalise en 2004 Elle critique tout !, dans lequel il tient le rôle principal… avec sa consoeur Elisabeth Quin et son confrère François Reynaert ! Il remet ça quelques années après avec Tous les hommes sont des romans. Les deux films sont co-réalisés par Renan Pollès, un vieux complice de Pascal Thomas.

Bande-annonce de "Aux abois" de Philippe Collin

D’autres fameux critiques se sont essayés à la réalisation. Henry Chapier, journaliste-star dans la presse écrite (Combat, France soir), sur le petit écran (Le mémorable Divan…) et aujourd’hui à la radio (sur Nova), a réalisé deux longs métrages au parfum hippie : Un Eté américain (1968), documentaire sur l’engagement des jeunes blancs en faveur des Black Panthers et la fiction Sex power (1972), film-trip avec Jane Birkin. Il a aussi signé un docu sur Israël ainsi que Amore, une romance tournée à Venise ! Remo Forlani, grande voix de RTL (disparu en 2009), mais aussi écrivain, auteur de pièces de théâtre, a collaboré à des dizaines de scénarios, notamment pour les premières adaptation de Tintin à l'écran (50 ans avant Spielberg !) Il a aussi réalisé en 1974 Juliette et Juliette, une comédie interprétée par deux grandes stars de l’époque, Marlène Jobert et Annie Girardot (c’est même le seul film coproduit par celle-ci). La même Girardot est l’une des héroïnes des Gauloises bleues, l’unique film réalisé par Michel Cournot, critique cinématographique, littéraire et théâtral au Nouvel Observateur et au Monde, décédé en 2008.

Le réalisateur de Cousin, cousine et Escalier C, Jean-Charles Tacchella, a lui aussi, débuté comme critique. Cofondateur du ciné-club Objectif 49, il a créé avec Henri Colpi (futur réalisateur d’Une Aussi longue absence, Palme d'or 1961), le mensuel Cine Digest. Il relatera ses jeunes années de cinéphilie dans Travelling avant, le film qui révèle Thierry Frémont en 1987. Parmi les jeuens passionnés de sa génération figure aussi Gilles Jacob. Le futur Président du Festival de Cannes, futur réalisateur de documentaires sur ses ses souvenirs de Croisette, revient sur son activité de critique au micro d’AlloCiné, dans la vidéo ci-dessous :