Arriver après la bataille à ceci de décourageant que tout semble avoir été déjà écrit sur The Wire (Sur Écoute en V.F). Mais ce serait oublier que la force du feuilleton lancé en 2002 est d'être aussi pertinent aujourd'hui qu'il l'était hier. Pas étonnant, les deux cerveaux à l'origine de la production HBO sont tous deux experts sur la question criminelle à Baltimore (le lieu de l'action). David Simon a fait ses classes au Baltimore Sun où il a frayé avec nombre de protagonistes impliqués dans le trafic de drogue, d'un côté ou d'autre de la loi (un labeur que Simon a compressé dans les 924 pages de Baltimore). Parmi lesquels Ed Burns, ex-officier de la police et ancien professeur dans une ZEP de la ville. Bref, à eux deux ils ont eu tout le temps d'observer les leviers et mécanismes régissant la vie d'une des plaques tournantes de ce commerce sous-terrain. D'où leur collaboration à l'ouvrage The Corner: A Year in the Life of an Inner-City Neighbourhood qui posa les germes de leur reconversion. Elle passera par la télé, d'abord avec Homicide en 1993 qui durera 7 saisons, puis l'anthologie The Corner en 2000. Déboule The Wire en 2002 qui entreprend de synthétiser le travail de plusieurs carrières en 5 saisons. Un polar de taille encyclopédique livré avec une rigueur journalistique doublé d'un geste civique puissant. Une main tendue vers tous, oui. Un doigt d'honneur aux autres canons du genre, oui aussi.
La réputation de Sur écoute s'est bâtie et consolidée sur la durée, la série n'affichant pas des audiences comparables aux Experts ou New York, Police Judiciaire, et pour cause elle ne leur ressemble en rien. Comme certains livres, elle réclame un peu de patience et de l'attention pour vous accrocher. Son style est proche du reportage : refus du sensationnalisme, de la complaisance ou du manichéisme. Pas de climax, pas de fusillade homérique, pas de cerveau du crime, pas de héros sans tâche. On mise sur les interactions entre personnages et groupes sociaux, comment ils fonctionnent de l'intérieur, comment ils agissent sur les autres, en tant que force constructive ou destructrice sur l'individu et la communauté. Dit comme ça, on pourrait craindre à un pamphlet anti-système, un objet théorique bien loin des aspirations d'un spectateur en quête de nouvelles addictions télévores. Ce n'est pas le cas, très loin de là. David Simon et Ed Burns savent mieux que personne qu'un sujet aussi retors que les narcotiques est d'abord un problème humain. De fait, on suit d'abord les individus au sein de strates distinctes sur le papier mais dont les rapports ou fonctionnements se confondent avec le temps et l'observation. À chaque saison, c'est à une nouvelle couche d'un problème structurel qu'on s'attaque (La rue, le port, la politique, l'école puis enfin la presse). À chaque saison, c'est une nouvelle page d'une odyssée sociale aux accents de tragédie humaine.
The Wire, c'est une série à mèche lente. Laissez agir un peu et quand elle explose, la déflagration heurte plus sûrement que vous l'auriez imaginé. Une fois que le souffle vous a balayé, vous poursuivez et achevez le feuilleton. Puis vous recommencez. Le feuilleton est une boucle parfaite, chaque saison est à la fois préquelle et séquelle de la précédente, la peinture finale vertigineuse oblige à s'y replonger avec un regard différent. Qu'il porte sur tel fil rouge ou tel personnage, tous importants puisque tous liés à une mythologie qui se forge imperceptiblement jusqu'à devenir colossale. Pour ma part, j'ai une préférence pour la saison 4 qui pousse l'empathie d'autant plus loin que la plupart des protagonistes sont des enfants. Mais soyons clairs, les 4 autres fresques sont de haute tenue. Jamais faciles ou tarabiscotées, toujours riches et pertinentes. Le seul point noir (et il n'est pas loin d'être microscopique) tient à cette approche terre-à-terre qui refuse les coups de tonnerre formalistes ou les rebondissements. Ça peut sembler paradoxal de reprocher à Sur écoute une chose qui fait sa plus grande force, mais disons que patienter parfois 4-5 épisodes pour que l'intrigue soit lancée pour de bon peut sembler un chouïa exigeant. Pour peu que vous lui accordiez ce temps, il est certain que les rangs de vos personnages cultes vont se gonfler avec une ribambelle de noms. Ma liste personnelle s'est vue allongée avec ceux de McNulty, Bunk, Freamon, Colvin, Greggs, Daniels, Prez, Carver, Omar, Barksdale, Stringer Bell, Sobotka, Bubbles, Michael, Dunquan ou Namond. Ça fait quand même pas mal de monde à peupler l'imaginaire qu'on associe à un genre que la création de David Simon et Ed Burns a su réinventer de telle façon que ses concurrents directs paraissent bien plats en comparaison. On a tous à apprendre de The Wire et il n'est jamais trop tard pour commencer.