John Woo arrivé en Amérique avec le bordélique [Chasse à l'homme][1] n'aura pas attendu pour nous sortir un nouveau film d'action. Trois ans seulement après la déception d'avec Van Damme, il engage John Travolta et Christian Slater pour mener la barque de sa prochaine oeuvre, deux références propulsées, dès Broken Arrow, dans le champ infernal des séries b d'action dont il est si dur de sortir.
La relation de leur duo, bourrine au possible, est balancée à la truelle dès l'introduction : si les plans de Woo sont toujours aussi esthétiques (le tout premier est somptueux), les interactions entre les personnages montrent directement leurs limites. Outre le fait que Slater et Travolta font n'importe quoi, c'est surtout qu'ils ne se construisent que sur des clichés : l'homme combattant parie sur sa victoire au point de mettre sa vie en jeu, les regards échangés traduisent une incapacité à montrer habilement à l'écran comment construire une amitié, le tout relevé par de multiples concours de taille pour déterminer lequel des deux est le mâle alpha.
Dans un film américain basique, cela dérangerait moins; habitués aux mêmes excès d'un cinéma profondément testostéroné, les retrouver chez Woo, habituellement fin gourmet (à Hong Kong du moins), reste en travers de la gorge; ce serait-il américanisé au point de rendre son film profondément stéréotypé, de passer de gimmicks de mise en scène à répétition lassante des mêmes lieux communs?
On pourrait le croire aisément, surtout quand on voit le jeu halluciné de Travolta et l'héroïsme manichéen de Slater. D'un côté, le mal incarné, sombre traître dont l'interprétation s'approche plus du Joker que de Judas; de l'autre, le chevalier blanc, ancien prêtre reconverti dans le massacre de commandos surentraînés (en tant que jeune recrue, c'est un fait d'arme qui mérite une médaille). Entre eux, un Park Ranger insupportable, Jar Jar Binks de Woo : Samantha Mathis et son jeu abominable, qu'on aimerait voir clamser chaque fois qu'elle l'ouvre.
Ils s'expriment au travers de dialogues remplis de phrases déjà croisées dans bien d'autres films du genre, avec la volonté constante, et propre aux actioners de série b de l'époque, de toujours trouver la punchline, l'instant de pose : jamais vraiment réussie, cette entreprise du bon mot se répète sans cesse, s'enfonce toujours plus profondément dans un manque d'inspiration flagrant, Slater tentant de palier la bêtise de ses dialogues par quelques sourires charmeurs, quand Travolta ne se la joue pas Cage dans Volte/Face.
Plutôt navrant, le film serait une purge infâme s'il n'était pas aux commandes de Woo; on pourra dire ce que l'on veut sur ses incohérences par pacs de douze, sur ses idioties d'écriture qui lui retirent tout sens et toute logique narrative, mais la caméra du réalisateur réputé reste toujours aussi virtuose. Mieux, on le croisera dans un registre qui n'était jusque là pas le sien : le huis clos à ciel ouvert, où l'intérieur doit être personnifié au travers d'un décors particulier.
Et filmer les canyons américains, il le fait admirablement bien, on point de pouvoir prétendre, quelques instants seulement, au titre de pub pour le sud de l'Amérique. Cette culture du paysage désolé héritée des westerns classiques, de cette Amérique profonde chère à ses compatriotes, il la gère avec autant de talent que les explosions et les gunfights; qu'ils réunissent ces trois éléments tenait du miracle, et c'est un plaisir à voir quand on se rend compte qu'il le réussit haut la main.
Sa maîtrise des extérieurs et des intérieurs prouvées, il peut à présent mettre en scène ces fameux morceaux de bravoure qu'il affectionne tant, et si les écarts virils du début engageaient mal le reste du film, ses séquences de courage apportent une tension solide au reste, presque palpable. Sur ce point supérieur au Pluie d'enfer que Slater tournera un peu plus tard, Broken Arrow impressionne par son action esthétisée et l'efficacité de ses séquences de combat.
Outre son montage haletant, c'est par sa gestion des ralentis qu'il nous tient à la gorge; quelques fois de trop, ils restent majoritairement pertinents et réussis, entraînant des personnages rendus attachants par le talent du réalisateur vers des sommets d'explosions et d'héroïsme. C'est aussi pour cela que Broken Arrow plaît : parce qu'ayant pris conscience de l'idiotie de son écriture, du manichéisme de son scénario, il en joue au point de rendre Slater Dieu du combat, et de le faire exterminer toute une bande de super-soldats des 80's.
Tout sympa qu'il est, tout journaliste ou prêtre qu'il fut, le voir massacrer avec classe, brûler avec le sourire a quelque chose de profondément hypnotisant. Etant donné qu'il est le héros américain et qu'il tue pour le bien être de son pays, ses actes sont justifiés et, finalement, jouissifs pour le spectateur qui les suit de très près. Et ce n'est pas l'explosion souterraine d'une bombe nucléaire qui l'atteindra; quand on est soutenu par le pouvoir idéal de l'oncle Sam (un billet de vingt dollars), on ne craint aucun mal, pas même John Travolta.