Un constat médian pour un objet de curiosité filmique plus que pour une œuvre réellement aboutie de la part d'un jeune Stanley Kubrick, pas encore au faîte de sa gloire, qui a déclaré de lui-même que l’« intrigue de ce second long-métrage était stupide ». Entrant par la petite porte du cinéma américain, Le baiser du tueur (Killer's Kiss) est le deuxième long-métrage du prometteur cinéaste de 27 ans alors, sorti en 1955. Le deuxième, et également le dernier dont l'audience reste limitée aux cercles d'initiés et d’intimes. Thriller dont les premiers pas s’inspire à l’incipit d’un de ses courts-métrage, Day of the fight, il place un boxer raté en situation d’amoureux transi et de défenseur acharné des causes perdues. Un vis-à-vis amoureux, fenêtre contre fenêtre, où l’amour n’a pas sa place, perturbé par des aventures interlopes et une flopée de gangsters peu recommandables malgré la flamme qui habite le plus haut placé d’entre eux.
Entrons dans le vif, pourquoi aller visionner ce film relativement désuet aujourd'hui. Avant tout, pour comprendre l'influence d'un réalisateur encore en apprentissage technique et d'influences. Ouvertement inspiré des polars à succès d'Alfred Hitchcock, il reprend de nombreux codes du genre (l'intrigue relativement "creuse", la lenteur éprise de tensions, les courses poursuites dans des univers vides et policés, la dramaturgie dramatico-policière). La technique naissante de Kubrick est mise en exergue par plusieurs situations et plans talentueux, les plans fixes face miroir révélant deux horizons, la traversée fixe d'un aquarium etc ... Son noir et blanc, brumeux et tirant vers le gris, est esthétique et efficace, sans doute doctement inspiré des visionnages de l'expressionnisme allemand en vogue à l'époque. Les ombres et lumières et le travail géométrique dans l’utilisation des décors et des peintures urbaines, utilisées avec parcimonie et talent, enrobent les univers, parfois chatoyants (Broadway, le dancing), parfois ascétiques (les rues désertes d’un quartier « brooklynien » de New-York, les appartements respectifs), d’un halo erratique. La bande-son originale oscille entre une musique usité soutenant l'intensité tendue et un charivari totalisant desservant l’œuvre par sa toute-présence. La grandiloquence n'est pas non plus de mise dans le jeu plat et minaudant d'un duo d'acteurs pusillanimes (Irène Kane & Jamie Smith) qui n'ont pas laissé une trace indélébile dans l'histoire du 7ème art (une curiosité sur leur filmographie est assez édifiante). La trame, ficelée par un nylon très ténu, se déroule donc sans anicroche devant nos yeux loin d'être scotchés ou ébahis. La tension mélodramatique n'atteint pas l'osmose tremblotante des chefs d’œuvre du genre, et les personnages suivent leurs pérégrinations sans détour ni psychologie. Certes, le format, 1h07 à peine, ne permet pas un développement romanesque de l'intrinsèque d’anti-héros mutiques et dépassionnés. Les aléas comminatoires sont lourdement arrimés au fil du déroulement, tombant comme un deus ex machina sur la soupe scénaristique. L'empathie n'existe plus, l'immersion non plus et nous nous portons distinctement jusqu'au générique final, jusqu’à esquisser un sourire sur un affrontement caustique.
Œuvre de connaissance plus qu’œuvre de complaisance, à visionner pour mieux comprendre plutôt que pour apprendre ou savourer. Les prémices, techniques peut-être, du futur omnipotent et qualitatif de Kubrick sont latents, à chercher entre les lignes d'un bien fade polar des années 50. Faîtes-vous archéologues de l'écran noir plus que cinéphile averti pour en profiter.