Voici donc le Grand Prix du jury du Festival de Cannes de l’année 1998. Moi qui ai très souvent du mal avec les œuvres primées sur la Croisette, je dois admettre que cette fois, il en est tout à fait autrement. Tout simplement parce que je ne crois pas me tromper en disant que "La vie est belle" a surpris tout le monde. Et Roberto Benigni a continué à étonner tout le monde lors de la remise du prix. Il a été si expansif qu’il semble que personne auparavant n’ait été aussi heureux que lui d’être reçu avec mention au plus prestigieux des festivals. Expansif, heureux, volubile, expressif, fouzègue, il respire la joie de vivre par une extravagance qui fait plaisir à voir et il s’en fallait de peu pour qu’il ose aller embrasser toute l’assemblée : bref, pour lui, la vie était belle, et nul doute qu’elle l’est encore. Des traits de caractère qui provoquent le respect (c’est bien d’être perpétuellement optimiste). Des traits de caractère qu’on retrouve chez Guido Orefice, son personnage. Un rôle décidément taillé sur mesure pour lui-même, par lui-même, et filmé par lui-même. Mais des traits de caractère qui peuvent aussi agacer, tant ces gens semblent ne rien prendre au sérieux. Tout est matière à rigoler, comme si rien n’est important et que la vie est un bien précieux dont il faut vite profiter. En fait, fidèle à mon incurable manie de tout ignorer du film avant de le visionner, je ne m’attendais pas du tout à ce genre de film. La surprise est donc au rendez-vous, succédant à la frustration. "La vie est belle" se fait en deux parties bien distinctes, de longueur équivalente. La première est empreinte de joie de vivre. Mais une joie de vivre qui devient limite soûlante. Emmené par ce personnage qui semble ne rien prendre au sérieux et ne penser qu’à s’amuser, le spectateur a l’impression de tourner en rond, de la même façon que Guido tourne autour de Dora : ça n’avance pas et on craint (ou pas) de voir l’opération séduction échouer. Mais après ? on va faire 117 minutes comme ça ? Quoi qu’il en soit, par la mise en scène, on notera un hommage rendu (voulu ?) envers les comédies musicales par la scène d’ouverture, ou par les petits pas de danse sous un parapluie improvisé quand notre fanfaron quitte sa belle après une déclaration d’amour pour le moins cavalière. On peut y voir aussi éventuellement un hommage à la vie. Que dis-je ? Une ode à la vie, avec ce qu'il faut d’opportunisme et de grande intelligence. Dans tous les cas, c’est dynamique, c’est frais, léger, mais on ne voit pas bien où on va nous emmener. Jusqu’aux indices annonçant un avenir plus sombre, distillés après une magnifique ellipse nous faisant sauter quatre années d’un seul coup d’un seul. Hé oui, les fanfaronnades de Guido font oublier que l’action se déroule en 1939, dans un pays où le fascisme et le nazisme montent irrémédiablement en puissance. C’est là qu’intervient la seconde partie, plus grave, plus sombre, sans être dénuée de l’inépuisable bonne humeur du personnage principal. Une façon de dire que dans la vie, il n’y pas de problèmes, mais que des solutions. Une philosophie qui vous affranchit de toutes les difficultés que la vie nous réserve (sans pour autant les éluder), une philosophie à laquelle je suis moi-même fidèle et que je ne peux de ce fait que comprendre. Malgré tout, Benigni ne sombrera jamais dans le pathos. L’aspect dramatique n’a pas été pour autant banni, au contraire, il est bien présent. Présent, mais pas pesant. Il amène un fort contraste dans une situation où Guido est le seul à sembler trouver matière à rire au sein d'un lieu qui sent la mort à des kilomètres à la ronde. Ceci a l’avantage aussi de mettre en avant l’incrédulité de tout un peuple, une incrédulité suscitée par la méconnaissance (voire l’ignorance, ou le déni) quant aux mesures d’épuration. Benigni s’offre même le luxe d’employer des mots forts, tels que « race supérieure », au point d’en faire des mots chocs. Sinon, l’immersion dans les années 40 est plutôt réussie. Principalement par une bande son un tantinet désuète, et qui ne manque pas de rappeler les sonorités des films d’antan. C’est ce qui fait leur charme, offrant du même coup le courage de rester devant les épuisantes gesticulations et les incessantes discussions de ce drôle de bonhomme. Ah oui, il est un peu beaucoup énormément bavard, se faisant souvent les questions et les réponses. Un vrai moulin à paroles ! Je vous l’ai dit, il est particulièrement volubile, ce qui en fait un personnage des plus extravagants, et passer une heure avec quelqu'un comme lui dans la vraie vie vous fait vieillir d'un an. Il y a aussi une chose sur laquelle j’ai changé d’avis : dans un premier temps, je regrettais que l’image ne soit pas en noir et blanc. Ceux qui ont toujours raison diront que le noir et le blanc sont des couleurs (ils n’ont pas tort), mais le noir & blanc aurait permis de renforcer le charme suranné de la bande son. Et puis j’ai fini par comprendre le choix de tourner ce film en couleurs : la vie en est pleine ! de couleurs, cela va de soi. Bon je sais que tout le monde ne sera pas convaincu sur ce coup-là. Mais conformément à sa façon d’aborder la vie, Benigni a sa façon de dire que la vie est un bonbon acidulé qu’il faut déguster au maximum dès la moindre occasion, aussi infime soit-elle. Et tel un sujet qu’il connaît de fond en comble, il l’a magnifiquement écrit, mis en scène, et interprété. Autrement dit, il porte le film sur les bras et les épaules, et suffit à lui seul à inonder l’écran de sa seule présence malgré la jolie paire père/fils qu’il forme avec Giorgio Cantarini (superbe de sobriété et de sagesse) et malgré le trophée tant convoité par Guido en la personne de Dora (très jolie Nicoletta Braschi qui par cette apparition, a une ressemblance assez troublante avec… Danielle Darrieux, récemment disparue). Au cours de ce film à la fois dur et joli, les émotions seront complétées aussi par la musique de Nicola Piovani. Cette partition a une particularité : elle est déclinée en plusieurs thèmes musicaux, le principal (et le plus fréquent), un autre lors de scènes d'amour (comme quand Guido se retrouve en tête-à-tête avec Dora) et celui de la mort (comme quand ils sont emmenés au camp). "La vie est belle", une œuvre maîtrisée de bout en bout ? Presque ! Par moments, on voit clairement que c’est tourné en studios : le carton-pâte des décors est quelquefois flagrant, et différents angles de prise de vue sur une même séquence trahissent un changement de direction dans les ombres. Rien de bien grave, en somme. Quant au camp de concentration, la structure rappelle celle d’Auschwitz (il est seulement cité dans le générique de fin), mais pas suffisamment de façon convaincante pour en dissiper les doutes. Manque de moyens pour une reconstitution plus fidèle ? Sans doute, car le site n’autorise pas les tournages (Spielberg avait été confronté à cette difficulté en 1993 pour "La liste de Schindler"). Pour conclure en évoquant le court laïus narré en voix off à l’entame du film, "La vie est belle" est une histoire simple sans être pour autant facile à raconter. Elle s’apparente à un conte, à la fois douloureux et plein de merveilleux et de bonheur. "La vie est belle" est donc une œuvre à découvrir absolument, et qui a le mérite d’aborder sous un jour nouveau un sujet déjà à maintes reprises exploité par le cinéma. Et si sur le moment vous n'êtes pas totalement convaincus, laissez-vous donc quelques heures pour laisser le charme agir. Et ne le jugez pas non plus trop tôt durant son visionnage.