Gunnm.
Tant d'histoire et d'émotion est cachée dans ces quelques lettres, composant le titre d'un des monuments cyberpunk et d'un des plus grands mangas de tous les temps.
Le jeune moi de 10 ans se souvient encore de la première découverte de ce chef-d’œuvre de Yukito Kishiro, prenant place au XXVIe siècle, dans des Etats-Unis post-apocalyptiques après une guerre interstellaire. Ne restait que Kuzutetsu la Décharge, surplombée par Zalem la magnifique, convoitise et rêve de chaque individu contraint de rester sur les ruines de la civilisation moderne.
A ce concept fort s'ajoutait évidemment son personnage principal, Gally, cyborg amnésique au cerveau humain retrouvé en pièce détachée parmi les ordures par le Dr Ido, cyberchirurgien le jour, chasseur de primes la nuit.
De ce canevas prometteur, Yukito Kishiro composait une œuvre marquante, âpre et violente, douce et romanesque, sombre et épique.
Après avoir découvert le manga (intitulé Alita Batlle Angel dans la langue de l'Oncle Sam), James "Dieu" Cameron acheta les droits via sa société Lighstorm pour un jour l'adapter. Et ce jour est enfin arrivé, grâce à l'avancée technologique de la performance capture (outils qu'il a lui-même contribué à développer).
En effet, au-delà de tout un monde à créer, le principal challenge et défi à relever était de créer une Gally/Alita au faciès de poupée cybernétique, tout en conservant un degré d'humanité via la performance capture (ce qui est totalement raccord avec les thématiques liées au personnage). Après avoir rédigé le script, développé les storyboards et tout planifié avant sa saga sur Pandora, Big Jim embaucha Robert Rodriguez, afin que ce dernier applique sa vision.
De cette collaboration arrive donc enfin cette arlésienne tant attendue, avec un réel poids sur les épaules.
Ce qui marque d'entrée de jeu est le respect indéniable de l'oeuvre, et ce dès les premiers plans dans la décharge : loin de copier chaque séquence du manga à la case près, le film réussit un vrai numéro d'équilibriste, en condensant la trame générale des 3 premiers tomes, en en alternant efficacement entre reprise, hommage et libertés narratives pour faire tenir le tout en 2h, sans trahir la substantifique moelle du manga.
En transposant l'action à la frontière mexicaine, Kuzutetsu (rebaptisée Iron City) évite le sentiment tokyoïte de déjà-vu, et via les équipes ultra talentueuses de Weta, nous livre un film-monde de toute beauté, fourmillant de détails pour un rendu tangible, palpable et grouillant de vie où se mêlent poussière et métal. La direction artistique somptueuse et l'incrustation digitale alliée à de réels décors vertigineux permet de donner vie à un cocktail cyberpunk détonnant et terriblement charmant.
Si il s'agit d'un véritable plaisir de déambuler dans ses rues au fil des minutes (renforcée par une 3D native d'excellente facture), Gally n'est absolument pas en reste.
Véritable vecteur du film et personnage auquel s'identifie le spectateur, la cyborg aux grands yeux représente un formidable achèvement d'un point de vue technique : photoréaliste, Rosa Salazar incarne à la perfection ce personnage atypique en pleine quête identitaire et de sa propre humanité.
Le film ne pouvait pas marcher sans son interprète ni l'équipe responsable de ce personnage de seinen qui prend littéralement vie devant nos yeux (aspect renforcé par les innombrables scènes où les expressions faciales sont mises au premier plan
On y croit, et en terme d'écriture, la maîtresse du Panzer Kunzt et de la tatane facile est telle qu'elle doit être : badass, sensible, déterminée, drôle et touchante. La dichotomie entre son aspect doux et angélique, sa candeur face à la découverte de son monde et l'ultra-violence des combats auxquels elle fait part est bien là, et est un des énormes atouts de cette adaptation.
Le reste du casting (humains, ou même cyborgs) est également de très bonne facture, Christoph Waltz incarnant un Ido paternel très crédible, Mahershala Ali excellent en Vector le "roi des enfers" (c'est vraiment le personnage qui prend vie) ou bien Ed Skrein en Zapan le chasseur-guerrier hautain et méprisable.
La relation entre Yugo (Keenan Johnson est plutôt convaincant d'ailleurs, apportant suffisamment d'insouciance et de légèreté) et Gally est étonnamment respectée, vectrice des motivations et émotions de la jeune cyborg. Jennifer Connelly, jouant Chiren, un personnage absent du manga mais présent dans l'OAV, est peut-être la plus dispensable, mais offre son lot de (rares) moments significatifs, avec le talent de son actrice.
Koyomi, Jashugan, le Doigt Sonique, Kimura, Makaku, Desty Nova..... tous sont là, avec une importance ou un rôle modifié voire amoindri, mais contribuent à la grande toile vivante de cette histoire allant crescendo, en même temps que les découvertes, apprentissages ou révélations liée à l'héroïne, nous abreuvant de joutes musclées jouissives lorgnant presque vers du T2 ou de la série B gonflée à l'adrénaline, ou d'autres moments de bravoure à l'epicness suintant par tous les pores.
L'action est sèche, parfaitement lisible et à l'énergie ultra communicative, où les démembrements et autres décapitations de cyborg s'enchainent avec un vrai plaisir, notamment lors d'une séquence de Motorball (sport sur circuit culte du manga), qui bien que n'ayant pas la maestria visuelle d'un Speed Racer des Wachowski, est dirigée avec un très grand soin et un savoir-faire kinétique jubilatoire.
Véritable blockbuster généreux et maelstrom de couleurs, de détails, de costumes, de CGI et de production design, Alita Battle Angel n'est pas non plus l'adaptation parfaite.
La volonté d'inclure quelques arcs narratifs rapidement, ou le développement de personnages de manière explicative (notamment sur le passé d'Ido), la première partie, bien que complètement charmante et où chaque fan du manga doit se pincer, se fait au détriment d'une abondance d'exposition, où Christoph Waltz débite le lore à Gally (et donc au spectateur
Cependant, pas de quoi bouder l'énorme plaisir devant un film aussi opulent : pas aussi profond, violent, sombre, mélancolique et brut de décoffrage que l'oeuvre de base, "Alita Battle Angel" reste néanmoins une superbe adaptation, épique et romanesque, ne trahissant jamais les thèmes de l'humain et de la machine, marié à une BO de Junkie XL de très bonne facture, capable de retranscrire musicalement les rythmes cinétiques des affrontements comme les moments d'émotion pures.
Véritable oeuvre cyberpunk, on a là un petit miracle qui s'opère, la meilleure adaptation de manga jamais réalisée, ainsi qu'un vrai moment de cinéma à la luxuriance de détails et au perfectionnisme qui force le respect, et fait honneur à un monument du genre.