Odette Toulemonde est le premier long métrage réalisé par Eric-Emmanuel Schmitt, auteur français né en 1960, connu surtout pour ses pièces de théâtre. Révélé par la pièce La Nuit de Valognes en 1991, il connaît un grand succès en 1993 avec Le Visiteur, ou la rencontre de Freud avec Dieu. Le thème de la rencontre est d'ailleurs au coeur de l'oeuvre de l'écrivain, qui aime aussi s'inspirer de la vie de personnages célèbres. Dès lors, les stars de cinéma se succèdent sur les planches pour dire ses mots : Alain Delon (Variations énigmatiques), Jean-Paul Belmondo (Frédérick ou le Boulevard du crime, autour du personnage interprété par Pierre Brasseur dans Les Enfants du paradis), Danielle Darrieux (Oscar et la dame rose) ou encore le tandem Charlotte Rampling/Bernard Giraudeau (Petits crimes conjugaux). Deux de ses pièces ont déjà fait l'objet d'adaptations cinématographiques : Le Libertin, un film signé Gabriel Aghion et Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, réalisé par François Dupeyron. Par ailleurs, Schmitt a travaillé comme scénariste, souvent pour des téléfilms inspirés de chefs-d'oeuvre de la littérature ou du cinéma : Senso, Les Liaisons dangereuses, Milady.
Catherine Frot brosse le portrait de son personnage : "C'est une madame Toulemonde qui ne ressemble à personne. Elle est un personnage altruiste, généreux, qui souffre pour les autres. Elle fait partie de ces personnes qu'on a tendance à mépriser. Pour moi, Odette est de la famille de Yoyo dans Un air de famille et de Louise dans Les Soeurs fâchées. En même temps, elle me fait aussi penser aux héroïnes des films de Pagnol qui avaient aussi cette candeur."
Eric-Emmanuel Schmitt revient sur l'authentique anecdote qui est à l'origine de ce récit : "Lors d'une tournée en Allemagne au bord de la mer baltique, je faisais une signature et une conférence dans un théâtre plein à craquer et, pourtant, j'étais triste. C'était le jour de mon anniversaire, personne ne le savait et je me trouvais loin de chez moi. Une lectrice m'a alors tendu une lettre. Endimanchée, elle s'était faite trop coquette pour l'occasion... A travers l'enveloppe, j'ai senti qu'il y avait un coeur en mousse à l'intérieur : j'ai vérifié, il y en avait bien un ! Même si je l'ai remerciée, je l'ai très mal pris parce que son présent était kitsch, parce qu'elle n'avait pas les mêmes goûts que moi ; je ne comprenais pas comment elle pouvait aimer mes livres. Au fond - j'ose le dire - j'avais presque honte d'avoir une admiratrice comme elle (...) En fait, cette lectrice ne disposait que d'un langage kitsch pour exprimer son affection et moi, je ne voyais que le kitsch au lieu d'apercevoir la générosité et l'humanité que recelait cette femme. Sur le coup, j'ai réagi en bon français, bien critique, avec ce mépris moqueur pour le goût des autres. Une heure après, seul dans ma chambre d'hôtel, triste, mélancolique, j'ai ouvert cette lettre. Elle était très belle et ce coeur que je trouvais ridicule, je l'ai mis contre ma poitrine et l'ai gardé presque toute la nuit sur moi."
Eric-Emmanuel Schmitt explique qu'il a décidé de concrétiser son désir ancien de réalisation après avoir discuté avec un de ses fameux confrères : "C'est grâce à Yann Moix. Il allait tourner Podium et, sincèrement, je n'étais ni jaloux, ni envieux, au contraire, j'étais très content pour lui qu'il fasse son film. Il m'a demandé : "Et pourquoi tu n'en fais pas un ?" Je lui ai répondu : "Parce que j'en suis bien incapable !" Et là, il a prononcé cette phrase : "S'il y a bien une personne qui connaît l'univers d'Eric-Emmanuel Schmitt, c'est Eric-Emmanuel Schmitt !" C'était tout bête mais ces mots ont provoqué un déclic. Je me suis dit : "C'est vrai, s'il y a quelqu'un qui connaît mon univers, c'est moi."" J'ai parfois ressenti un sentiment d'insatisfaction en voyant certaines mises en scène de mon texte au théâtre ou au cinéma car ce n'était pas complètement " juste " selon moi. Sur le tournage, mon obsession a été de trouver ce qui est " juste " : le mouvement de caméra juste, l'inflexion juste, le silence juste..."
Eric-Emmanuel Schmitt n'est pas le premier écrivain qui décide de devenir réalisateur. Dans le cinéma français récent, on peut citer les exemples suivants : Jean-Philippe Toussaint (coup d'essai en 1986 avec Monsieur), Jean Teulé (Rainbow pour Rimbaud, 1995), Alexandre Jardin (Fanfan, 1993), Vincent Ravalec (Cantique de la racaille, 1998), Denis Robert (Journal intime des affaires en cours (1998, co-réalisé par Philippe Harel, d'après Pendant les affaires, les affaires continuent), Virginie Despentes (Baise-moi, co-réalisé par Coralie Trin Thi, 2001), Dai Sijie (le film franco-chinois Balzac et la petite tailleuse chinoise, 2002) ou encore Yann Moix (Podium, 2004). Plus rare encore, une comédienne qui réalise un film à partir de son livre : c'est le cas de Marie-France Pisier (Le Bal du gouverneur, 1988). Signalons aussi qu'au moment de la sortie d'Odette Toulemonde, Michel Houellebecq est en pleine préparation du tournage de La Possibilité d'une île.
Odette Toulemonde n'est pas l'adaptation d'un récit déjà existant, mais un scénario original : "Normalement, un livre donne un film, là c'est un film qui a donné un livre !", s'amuse le cinéaste à propos de l'ouvrage Odette Toulemonde et autres récits paru peu avant la sortie du film. "J'étais en train d'écrire un gros livre avant que le film ne commence. On m'a fait signer un contrat qui m'interdisait les sports violents et l'écriture. Cela m'a tellement énervé que, sur le tournage et pendant le montage, dès que j'avais un moment de libre, j'écrivais des nouvelles qui sont maintenant dans le recueil. Et quand le film a été fini, je me suis dit que j'allais écrire celle du film. Elle est donc légèrement différente du film parce que je n'utilise pas le même moyen d'expression."
Pour Eric-Emmanuel Schmitt, le cinéma est une passion ancienne : "Quand j'avais dix ans et qu'on me demandait ce que je voulais faire, je répondais : "Walt Disney" !" révèle-t-il. "Pour moi, cela voulait dire cinéaste parce que je n'avais pas encore affiné mon analyse et qu'à l'époque, je ne voyais que des dessins animés. Après, je ne sais pas pourquoi, je n'ai pas donné libre accès à ce désir (...) Le jour où j'ai pris conscience que le cinéma était un art, j'avais quinze ans et je venais de voir Orphée de Jean Cocteau. Ce film m'a ébloui et je n'ai cessé de le revoir. J'ai aimé cette histoire à la fois métaphysique et poétique mais j'étais aussi en admiration devant les effets spéciaux. À partir de ce jour-là, je me suis pris d'une passion pour le cinéma qui oscillait entre des auteurs comme Cocteau et des grands réalisateurs de comédie. J'ai aimé Ophüls, Lubitsch... To be or not to be est un film que je connais par coeur ! Parmi les cinéastes contemporains, j'éprouve une grande admiration pour Jaco van Dormael."
Si on peut penser qu'Eric-Emmanuel Schmitt a puisé dans sa propre expérience pour construire le personnage de Balhazar, écrivain populaire méprisé par une partie de la critique, le cinéaste se reconnaît également dans le personnage féminin : "Je me sens autant Odette que Balthazar. Je pense que le bonheur que j'ai éprouvé en faisant ce film a été de laisser parler cette joie de vivre que j'ai en moi, que je peux parfois exprimer sous une forme philosophique et métaphysique mais jamais en son, en image et en mouvement. Grâce à la rencontre avec Catherine Frot capable de porter un personnage comme celui-là, grâce au cinéma, j'ai l'impression d'avoir été beaucoup plus moi-même. Cela me ressemble plus que beaucoup de choses que j'ai faites parce qu'il y a cette espèce de bonheur de vivre que je n'ai jamais su exprimer ailleurs. J'ai des naïvetés et des candeurs comme celles d'Odette et j'ai des moments de déprime et des ambitions comme Balthazar."
Eric-Emmanuel Schmitt a souhaité tourner son film en Belgique, et notamment à Bruxelles, la ville dans laquelle il a élu domicile. Une partie du casting est d'ailleurs composée de comédiens locaux : c'est le cas des deux acteurs qui incarnent les enfants d'Odette, Fabrice Murgia (Rudy) et Nina Drecq (Sue Helen...). La vieille dame dure d'oreille que croise Odette dans le bus a les traits deJacqueline Bir, une comédienne française qui a fait carrière en Belgique. Mère du regretté Philippe Volter, elle a joué sur les planches de Bruxelles le rôle principal d'Oscar et la dame rose, une pièce d'Eric-Emmanuel Schmitt.
Dans une des scènes du film, l'héroïne se lamente parce qu'elle trouve son prénom ridicule, estimant qu'Odette est un nom qu'on attribuerait plutôt à un caniche. "Ne manque plus que le collier de chien", dit-elle en substance. S'agit-il d'une référence à Yolande, le personnage d'Un air de famille, qui a rendu célèbre l'actrice (dans une des séquences les plus fameuses, elle se voit recevoir un bijou qui ressemble à un collier pour chien...) ? La comédienne a confié au micro d'Allociné qu'elle avait posé la question au réalisateur, "Il n'a jamais voulu me le dire mais je pense quand même que c'est une référence. C'est bizarre, hein ? Soit c'est un acte manqué, soit il l'a fait exprès. Je ne sais pas, il me l'a jamais dit. En tout cas, quand je l'ai lu, effectivement j'y ai tout de suite pensé."
Catherine Frot revient sur la scène dans laquelle on la voit s'envoler : "C'était impressionnant parce qu'il faisait -1°et j'étais à 28 mètres d'altitude sur une grue immense d'où je voyais toute la ville de Charleroi. Il n'y avait aucun trucage. Je suis vraiment dans les airs, sanglée dans un truc hallucinant... Et à Bruxelles, j'étais dans une petite nacelle grande comme moi !"
Dans deux films qui sortent à quelques jours d'intervalle, on retrouve le comédien Jacques Weber dans deux rôles presque identiques : dans Les Ambitieux de Catherine Corsini (sortie le 24 janvier) comme dans Odette Toulemonde d'Eric-Emmanuel Schmitt (sortie le 7 février), il joue le rôle d'un journaliste littéraire qui descend en flammes un ouvrage lors d'une émission de télévision...
La bande originale de Odette Toulemonde est signée de l'Italien Nicola Piovani, l'un des des plus grands compositeurs de musique de films actuels. Ses partitions, entre légèreté et mélancolie, accompagnent les films des plus grands cinéastes transalpins, de Bellocchio (Le Saut dans le vide) à Moretti (La Chambre du fils) en passant par Fellini (Intervista), les frères Taviani (Kaos) ou encore Roberto Benigni (La vie est belle). Eric-Emmanuel Schmitt n'est pas le premier réalisateur français à faire appel à lui, puisqu'on lui doit entre autres la musique de Drôle d'endroit pour une rencontre de François Dupeyron, L'Equipier et Je vais bien, ne t'en fais pas. de Philippe Lioret ou encore Fauteuils d'orchestre de Danièle Thompson.