Un an avant la consécration d'Avatar par la presse et les spectateurs, les frères Wachowsky réalisaient un film unique, sans futur ni passé, donc. Pour comprendre l'aboutissement qu'est Speed Racer, il faut remonter une dizaine d'années auparavant : Matrix, premier du nom, évoquait la fascination qu'éprouvaient les deux cinéastes pour le pourvoir du numérique. Malheureusement, l'intrigue tarabiscotée du film en laissait aussi supposer leur méfiance, et la libre expression des procédés virtuels en était altérée. L'objet de la passion des Wachowsky ne s'épanouissait alors que dans quelques séquences qui offraient au cinéma d'action sa définition la plus actuelle. 8 ans plus tard, ils décident enfin de laisser libre cours à l'objet de leur fascination.
Snobé (voire méprisé) par la presse, il a été reproché à Speed Racer une certaine stupidité de son intrigue. En vérité, l'intrigue de Speed Racer n'est pas stupide. Elle est simpliste, tellement simpliste qu'elle en devient faiblarde, donc facilement eclipsable par la gloutonnerie du numérique. Car les Wachowsky, au final, n'en ont cure de l'intrigue de leur objet : elle n'est là que pour éviter que leur film adopte un rythme répétitif (le cas de Sucker Punch, cette année), et pour satisfaire les exigences du marketing. Ainsi, le film accouche de quelques scènes bancales, des scènes de dialogues, assez inintéressants en somme, mais d'où semble tout de même s’échapper quelques restes du délire visuel de Speed Racer : les couleurs pops qui enveloppent l'image dans une hystérie numérique, les effets de mise en scène et de montage excentriques (superposition visuelle de l'énoncé et de la situation d’énonciation), les étrangetés de perspective et de profondeur de champ. Pour le reste, c'est une incroyable orgie visuelle. La problématique du réel abordée grossièrement dans Matrix est complètement inexistante ici : ce n'est qu'un déluge d'images virtuelles époustouflantes, s'affranchissant des lois physiques, optiques et logiques. Il ne s'agit ici que d’impressionner, que d'éblouir, c'est là que se situe la fascination des Wachowsky pour le virtuel. La méfiance que les deux cinéastes avaient évoquée dans Matrix se justifie ici : lâché à toute vitesse, l'entité numérique dévore tout ce qui peut la ralentir : la trame n'existe plus, au profit d'une narration visuelle complètement folle, et les personnages sont happés par l'intensité du montage (le présentateur, dans son enthousiasme excentrique, redevenant Melvil Poupaud : « putain de sa mère il a un flingue ! »). La scène finale marque l'aboutissement de cette gloutonnerie visuelle : le montage alterne tout d'abord les images de la course, abstraites, avec celles d'une sorte de « bilan » de l'intrigue. Puis, tout s'accélère, la trame disparaît et laisse place aux spectateurs hystériques, aux regards époustouflés de la foule. La logique voudrait que les gens crient car Speed gagne. Or, toute trace de logique anéantie par l'abstraction visuelle et la vitesse folle, il ne s'agit ici que de spectateurs acclamant cette orgie visuelle. Ainsi, lorsque Taejo Toghokan bondit de joie lors de la victoire de Speed, il n'est plus à nos yeux qu'un spectateur comme un autre, comme nous, s'enthousiasmant devant le spectacle impressionnant, vain, vide, du numérique dans son épanouissement le plus total.