Lorsqu’elle a sorti "Boxing Helena", son premier film, en 1993, Jennifer Lynch dû faire face à une hostilité de la part de la critique qui finalement lui reprochait plus d’être la fille de son père que d’avoir réalisé un très mauvais film. Même si ce premier était loin d’être parfait (l’inexpérience de la demoiselle y étant pour beaucoup), cet acharnement était totalement injustifié et rélévait plus de l’hypocrisie générale qu’autre chose. Pourtant, Jennifer Lynch encaissa très mal la chose, à un tel point qu’on a cru qu’elle ne refera jamais d’autre film. Quinze ans, il aura fallu attendre quinze longues années pour que la fille de David Lynch se remette de ce traumatisme et se lance à nouveau dans l’aventure du 7ème Art avec "Surveilance". Le Pitch : suite au massacre de plusieurs personnes sur une route de passage commis à première vu par un tueur en série qu’ils poursuivent, deux agents du FBI viennent procéder à l’interrogatoire des survivants : un flic retors, une jeune demoiselle adepte de la drogue et une petite fille dont les parents font parties des victimes. Chacun livre alors sa version de l’affaire et il est clair qu’il ne sera pas facile de trouver le fin mot de toute cette horrible histoire… Avec ce second film, Jennifer Lynch nous livre un huit clos prenant qui apparaît comme un savoureux jeu de dupes entre chaque personnage qui se suspecte mutuellement : observation totale, craintes, mensonges, comportements étranges. Tout est fait pour nous perdre : l’œil trompe, l’ouïe trompe, la caméra trompe, l’écran trompe....tout trompe !! Le titre du film est plus que justifié : il est bien question de surveillance ici, et à plusieurs niveaux : Si les deux agents du FBI sont là pour surveiller les témoins par rapport à leur mission, ces derniers semblent aussi de leur côté se surveiller les uns les autres ainsi que leurs interrogateurs ;mais au-delà de l’image, c’est la surveillance du spectateur qui est mise à l’épreuve : nous sommes nous-même témoins privilégiés de la scène des meurtres mais aussi des témoignages croisés des trois survivants, témoins de toutes omissions, des travestissements de la vérité, des visages crispés, de la tension montante…On est directement impliqué dans cette quête de la vérité et on nous balance de suppositions en doutes, de théories en pertinences (cela me fait d’ailleurs penser pas mal au "Rashômon" d’Akira Kurosawa) car, au final, aucun des témoins n’est épargné niveau morale dans son développement : le flic exulte en terrorisant d’innocents conducteurs qui ont le malheur de croiser sa route, la jeune femme est une sorte de mercenaire délinquante qui est prête à tout pour avoir sa dose de crack, et la petite fille soupçonneuse de tout qui a toujours été un peu mis de côté dans son environnement familial. La mise en scène, astucieuse, renforce cette impression de doutes permanents en montrant chaque déplacement dans le cadre, en zoomant sur les regards ou portant attention à des gestes à priori anodins. Jennifer Lynch arrive ainsi à instaurer un dogme paradoxal entre le récit présent des interrogatoires (dans lequel la vérité est dure à cerner) et le récit passé de l’agression (dans lequel le mensonge est indéniablement indubitable). Les quinze années séparant "Boxing Helena" et "Surveillance" n’ont pas été inutiles pour Jennifer Lynch : sa réalisation s’est clairement améliorée et on est bien loin des maladresses du premier film, comme peut en témoigner cette surprenante et très bonne scène du double contrôle routier où le découpage et le cadrage soutiennent parfaitement la prestation des deux flics et arrivent à retranscrire une certaine tension alors qu’on assiste à un évènement qui n’a rien d’extraordinaire. Papa Lynch peut être fier de sa fille : elle s’est bien reprise en main et lui fait amplement honneur. Du côté du casting, Bill Pullman et Julia Ormond sont impressionnants : le premier campe un homme impassible jouant d’ironie subtile envers les autres sans jamais desserrer les dents (ou quand il sourit, il fout tellement les jetons qu’il devrait finalement s’en passer !), et la seconde mélange classe et charisme, sorte d’alter égo opposé du premier. Les seconds rôles sont aussi bien interprétés et c’est assez rare de voir le « second plan » rivaliser de justesse avec les rôles principaux (et là, chapeau encore à Jennifer Lynch qui a bien progressé en matière de direction d’acteurs depuis "Boxing Helena" !). On notera plus particulièrement l’interprétation de la petite Ryan Simpkins et celle de Kent Harper en flic imbus de sa personne.
Avec "Surveillance", Jennifer Lynch nous rassure et envoie un joli bras d’honneur à ses détracteurs (et ils le méritent bien les affreux petits saligauds). Débutant comme un polar teinté de "Twin Peaks" (ah l’influence du paternel !), le film développe une certaine tension baignant dans une atmosphère poisseuse soutenue par une structure visuelle ingénieuse, avant de se terminer par une surprise inattendue digne d’un film des frères Coen (joli rebondissement au passage !). Une pellicule généreuse, intelligemment manipulatrice envers le spectateur et propose une petite réflexion sur l’abus du pouvoir et la part sombre que l’on peut trouver en chacun de nous. Bravo Miss Lynch, vous vous êtes bien relevée. Vivement le prochain film.