La frigide et frustrée Séverine (sublime Catherine Deneuve dans son plus beau rôle) avait besoin de se prostituer pour s’épanouir. Dès la première scène d’un rêve romantique qui tourne à la flagellation avant un viol, Luis Buñuel plonge dans le fantasme féminin d’une bourgeoise à la beauté glaciale d’un iceberg. Frustration, sexe, masochisme et fantasmes sont ici exprimés comme jamais dans l’œuvre du cinéaste qui pourtant ne manquait pas de références en ce domaine. Filmé volontairement avec un classicisme d’une lisibilité de cristal, les scènes inattendues, certaines à la limite de l’absurde, ne manquent pas, le summum étant atteint avec la boite du client asiatique, qui émet un vrombissement lorsque qu’elles est ouverte, qui dégoute l’une des prostituée, mais laisse Séverine indifférente quant au contenu qui restera inconnu. Mais aussi l’humour noir avec un immense moment : la masturbation nécrologique de Georges Marchal (actrice c’est un métier, car toute personne normale aurait été prise de fou rire en tournant cette scène à la place de Deneuve). Elles renforcent une démarche subversive dans laquelle l’héroïne est l’archè type d’une épouse grande bourgeoisie dont elle accepte tout les codes pour mieux les transgresser, le tout avec un plaisir indiscutable. « C’est une perle » (donc qui s’enfile par les deux trous) dit Anaïs (Geneviève page, une des actrices les plus sous estimées du cinéma français) de celle qui répond à la bonne qui affirme « des fois ça doit être pénible tout de même» : « qu’est ce que tu en sais Pallas? », habillée d’un sourire qui en dit long. Car avec son co-scénariste Jean-Claude Carrière, le réalisateur entreprend une critique transgressive mais jamais libertaire, au sens soixante huitard du terme, de la bourgeoisie et de ses moeurs. Filmé avec une précision d’horlogerie suisse, offrant uniquement des plans significatifs (jusqu’aux décors de l’appartement de Séverine qui contient des tableaux de surréalistes, de Dali à Miro) magnifiés par un pellicule très maîtrisée de Sacha Vierny quant aux mouvements de caméra et à la colorimétrie, et offrant un casting haut de gamme. Dirigé de main de maître, il comprend en plus de Catherine Deneuve, Geneviève Page, Georges Marchal cités plus haut, Jean Sorel, Michel Piccoli, Francis Blanche, Macha Méril, Pierre Clementi, Francoise Fabian, Francisco Rabal et Muni. Passant de la soumission sexuelle fantasmée au tintement des clochettes des chevaux, à la réalité sexuellement assumée, « Belle de jour », porte un regard à l’opposé des thèses féministes de plus en plus puritaines et castratrices. « Belle de Jour » est un chef d’œuvre qui expose le droit aux femmes d’avoir des fantasmes, de les assumer et même de se prostituer si elles le désirent.