Le fait qu'il soit assez proche de Cet obscur objet du désir, le film testamentaire de son metteur en scène Luis Buñuel, suffit à indiquer l'importance que Belle de Jour revêtait sans doute aux yeux de son auteur. Certes, Buñuel décrit ici en adaptant Joseph Kessel une confusion différente de celle qui tenaille Fernando Rey dans son chef-d'oeuvre de 1977. La caméra n'épluche plus un homme incapable de savoir ce qu'il aime chez la femme, mais plutôt une femme tout aussi incapable de savoir pour quoi elle veut se sentir désirée. La différence est certes déterminante sur le plan dramatique, mais les ressorts des deux récits sont in fine les mêmes ; ce sont ceux, grouillants et bourdonnants, du mystère érotique qui anime le complexe de l'âme et du corps et dont Buñuel s'est toujours plu à démêler les nœuds. Là encore, le film ne livre pas de réponses, ou presque ; tout juste peut-on bel et bien affirmer l'existence d'un propos social sur la bourgeoisie et le vernis craquelé de son étiquette, et encore, tout ceci est assez accessoire d'un film qui ne jure que par l'opacité et une impression de non causalité, de hasard d'un désir adventice qui se développe comme une excroissance. Même s'il s'est assagi depuis ses débuts, Buñuel n'a d'ailleurs pas tout à fait oublié le surréalisme qui lui est si cher. Réservé à des songes qui petit à petit se mêlent au récit, celui-ci ne manque pas d'amener une dose d'onirisme, captant l'esprit souvent hagard de son personnage, trop reculé pour souffrir vraiment en dehors d'une mélancolie éthérée. Celle-ci, d'ailleurs, Buñuel la cultive à peine, et ses allusions à Godard (la vente du New-York Herald dans les rues de Paris pour À bout de souffle, la présence d'un Piccoli cynique qu'on dirait sorti du Mépris depuis 10 ans) contribuent à son rachitisme, tant le rappel à l'Oeuvre du réalisateur de Pierrot le Fou prononce comme dans un cri sorti du néant l'existence d'une mélancolie bien plus déchirante qu'on ne retrouve pas dans Belle de Jour. Celui-ci est plutôt comme le delirium tremens d'un désir qui mue sans arrêt, entre érotisme et pureté, et empêche son sujet de se fixer durablement pour rendre sa cohérence à une existence devenue double. Se mêlant à l'ordinaire, l'étrangeté de la situation finit par gagner sa place, tout recouvrir, les fantasmes peuplant un quotidien qu'ils exproprient petit à petit, jusqu'à en faire, justement, le fantasme moqueur et disparu d'un être désormais enchaîné à ses désirs et condamné à vivre selon la légèreté cruelle de leurs fantaisies.