C'est l'histoire d'une petite communauté qui a décrété que les bois qui l'entourait étaient peuplés de créatures dangereuses. L'intrigue minimaliste du film, à l'instar de son esthétique (lumière naturelle), laisse penser que "Le Village" est un conte horrifique, une histoire destinée à faire faire des cauchemars aux enfants. Le film est en partie cela, il y a en effet des monstres, des habitants apeurés et des légendes bien établies (le rouge est la "mauvaise couleur"), mais il finit progressivement par déconstruire ces codes pour orienter son propos vers une dimension politique, questionnant avec complexité le protectionnisme américain post 11-09. Shyamalan, cinéaste redoutablement malin, associe son discours à une ambiance fantastique magnifiquement mise en scène. Grâce à une science inouïe du découpage et du timing, la peur surgit en deux plans fixes ou en un léger travelling circulaire, sous une forme certes brusque mais aussi poétique, avec une musique à la fois envoûtante et déchirante qui colle parfaitement à l'évidente fragilité de ses personnages (Ivy est aveugle, Lucius est timide, Noah malade, les Anciens guidés par la peur). Un film complexe qui se déploie à l'aide de ses twists, ceux-ci éclairant les motivations des Anciens tout en obligeant le spectateur à reconsidérer ce qui a précédé. Parce qu'un groupe d'individus a vécu le meurtre de proches en ville, il s'est retranché au milieu de nulle part, imaginant une vie où le Mal ne pourrait jamais s'introduire, une utopie vue par le regard distant de Shymalan, qui se garde bien de tout jugement vis-à-vis de ce projet. Quant à ce qui menace la communauté, à savoir un individu qui parcourrait la forêt, il est ici guidé par l'amour (Lucius et Ivy mais aussi Edward et Alice), une idée qui peut paraître naïve mais transcendée par la croyance du cinéaste, qui établit des rapports amoureux régis par une difficulté à communiquer, ce qui permet de manière paradoxale des dialogues d'une force sidérante (la scène du porche est une des plus belles déclarations d'amour jamais vue). Joaquin Phoenix et Bryce Dallas Howard sont éblouissants, les seconds rôles ne sont pas en reste, ensorcelés par la caméra de Shyamalan, réalisateur alors au sommet de son art, qui signe là un film dense, ludique et profond. Un chef-d'oeuvre !