Premier long métrage réalisé par Steven Soderbergh, écrit par ses soins en seulement huit jours, Sexe, Mensonges et Vidéo est un film très inspiré. Inspiré par le propre échec sentimental du cinéaste au moment de l’écriture du scénario, inspiré par les mœurs américaines en matière de sexualité tandis que s’achèvent les années 80. Ainsi sommes-nous en présence de deux sœurs dont la vie sexuelle est aux antipodes : cérébrale et frustrante pour Ann (Andie MacDowell), libre et débridée pour Cynthia (Laura San Giacomo). Entre les deux femmes, le même partenaire : John (Peter Gallagher) qui n’est autre que… le mari de Ann (qui n’a pas connaissance de l’adultère). Ce dernier est l’archétype du carriériste. Jolies cravates, secrétaire personnelle, parties de golf pour cultiver l’entre-soi… cet avocat d’affaires sur la pente ascendante possède tous les attributs de la réussite sociale telle qu’on se la figure alors. Et puis, "l’élément déclencheur" débarque : un dénommé Graham (James Spader), ami d’enfance de John, personnage assez lunaire dont on sait peu de choses sinon qu’il sera hébergé par le couple durant quelques jours.
C’est donc lors d’une journée qui ressemble à beaucoup d’autres pour Ann, partagée entre ses séances de psychanalyse et son morne quotidien de femme au foyer, qu’elle reçoit, seule, ledit Graham. Et d’emblée, leur rencontre est placée sous le signe du bizarre et de l’incongru. Quand il entre pour la première fois dans la maison, avant même d’avoir échangé avec Ann les politesses de rigueur, celui-ci demande où sont les toilettes. Fausse alerte, finalement. Quelques mots sont ensuite échangés avec maladresse, puis, cette fois-ci c’est la bonne, direction les W.-C. Quand il en revient, Ann se surprend à dire que ce fut bien court, selon elle. Ainsi, alors qu’ils n’ont pas encore fait connaissance, s’installe entre eux une proximité assez trouble. Plus tard, Graham affirmera, comme un prélude à leur relation, "qu’on ne devrait faire confiance qu’aux personnes avec qui l’on couche". De confidences en confidences, Ann et Graham vont ainsi dévoiler leur intimité jusqu’à la découverte du fantasme de Graham : filmer des femmes qui parlent de sexe. Le contrat est clair : elles peuvent dire ou faire ce qu’elles veulent, lui ne les touche pas. Le film prend alors une autre dimension.
On pourrait ne voir dans le fantasme de Graham qu’un effet d’une pulsion scopique condamnable – et d’ailleurs fortement condamnée par Peter… qui a pour amante la sœur de sa femme, rappelons-le. Mais Soderbergh en fait tout autre chose. Les femmes qui choisissent de se livrer aux questions et à la caméra de Graham sont en totale adhésion avec ce qu’il appelle "son projet". Privées de tout contact physique avec lui, leur parole s’écoule sans contraintes et agit comme des caresses sur des corps soumis à la distance. La mise à nue passe donc par les mots. Et les participantes y prennent un plaisir inattendu. Sous l’œil froid de l’objectif, l’appartement de Graham se fait alors confessionnal et le sexe se mue en mystique où s’entrechoquent la psychanalyse (ce n’est pas un hasard si le film s’ouvre sur une séance chez le psy) et le voyeurisme. La tension est à son comble quand la parole, délivrée des étreintes corporelles, livre ses secrets les plus enfouis, ouvre un univers de plaisir à ceux qui s’en croyaient privés, qui regardent avec stupeur la vie nouvelle qui s’offre à eux.