"Une fantaisie dramatique". C'est ainsi que Renoir présente son film auquel il appose, en exergue, une citation du Mariage de Figaro, de Beaumarchais. Il aurait aussi bien pu apposer un extrait des Caprices de Marianne, de Musset, ou des Jeux de l'amour et du hasard, de Marivaux. Car le scénario est placé sous le patronage de ces dramaturges, alliant marivaudage et satire sociale, farce légère et ironie cruelle. Il y a dans cette "fantaisie dramatique" une liberté et une diversité de tons aussi étonnantes que réjouissantes. Comme une large palette pour peindre un tableau de la comédie humaine, futile, ridicule, vicié, pathétique, tragique. Où "chacun a ses raisons". Où chacun participe à un jeu dont les règles n'existent que pour être transgressées. Mensonges, tromperies... L'hypocrisie des conventions sociales et morales éclate avec désinvolture ou cynisme, au gré d'intrigues amoureuses échevelées, qui naissent et se développent en parallèle chez les aristos et chez leurs serviteurs. Deux univers sociaux que Renoir connaît bien pour avoir fréquenté, chez son père, autant les domestiques que l'aristocratie de l'époque. Deux univers confrontés, qui forment une thématique récurrente dans l'oeuvre du cinéaste. Les rapports de classes, les moeurs de l'époque, la guerre des sexes, tout cela passe ici à la moulinette de l'imagination caustique de l'auteur, se traduit par des dialogues pleins d'esprit et par une mise en scène virtuose, chassé-croisé étourdissant de maîtres et de domestiques, dans le cadre d'un château en Sologne. Certains ont aussi vu dans ce canevas l'expression des tensions d'avant-guerre (l'action se déroule en 1939) et le pressentiment de la boucherie héroïque qui allait suivre (le massacre de la scène de chasse, la danse macabre). Peut-être. Quoi qu'il en soit, on ne sent plus dans le propos de l'auteur l'humanisme chaleureux qui irriguait La Grande Illusion. L'allégresse n'est qu'une façade ; le regard sur l'homme y est beaucoup plus critique.
Toutes ces thématiques et tonalités, mais aussi le style du film, à contre-courant du réalisme ou du naturalisme pratiqué alors par Renoir, ont déconcerté la critique française qui a réservé à cette Règle du jeu un très mauvais accueil à l'époque de sa sortie. Une bonne partie du public a également montré son hostilité, mais le film est quand même resté un certain temps à l'affiche (voir l'Almanach du cinéma de l'Encylopaedia Universalis). Puis la Seconde Guerre mondiale a éclaté ; le film a connu mutilations et destructions (la version initiale a été détruite lors d'un bombardement en 1942). Compte tenu des critiques, Renoir a pendant un moment renié son ambition de critique sociale, en présentant le film comme un pur divertissement. Il l'a remonté maintes fois et dû attendre 1959 pour le voir enfin reconnu et acclamé, via la projection d'une version restaurée à Venise. Cette version (presque) intégrale sortira en France en 1965, achevant de convaincre la critique française qui avait déjà commencé à retourner sa veste après la guerre. L'engouement est alors devenu presque aussi excessif que le rejet des premiers temps, faisant de ce film l'un des meilleurs de l'histoire du cinéma. C'était "le film des films" pour Truffaut. Sans aller jusque-là, et sans forcément considérer qu'il s'agit du meilleur Renoir, on ne peut que reconnaître la grande qualité de regard et d'orchestration de ce spectacle acide et virevoltant, ainsi que sa qualité d'interprétation (mention spéciale à Dalio, Renoir lui-même, Carette et Dubost).
À noter enfin la présence d'Henri Cartier-Bresson au générique, en tant qu'assistant réalisateur et acteur (le serviteur à l'accent anglais). Les costumes ont par ailleurs été conçus par Coco Chanel.