Le film se passe en banlieue et pourtant Kechiche esquive tous les poncifs du genre. Dans son film : pas de rap, de dealers ou de violeurs (cf. l'abjecte "Journée de la Jupe"), pas non plus de flics racistes ou de victimisation facile de cette frange de la population. En plus d'éviter tous ces clichés, Kechiche esquive également toute problématique sociale. Il n'est pas question ici d'intégration, de fracture sociale, de sécurité, de laïcité, de burqa ni d'identité nationale. Car Kechiche se sert d'un environnement, propice habituellement à un grand questionnement socio-economico-politico-culturel, pour raconter une simple et légère histoire d'amours. Le film confronte les pérégrinations amoureuses des personnages d'une pièce de Marivaux dont les élèves préparent une représentation tout au long du film, et celles des élèves eux-mêmes. Et on voit que les règles du jeu de l'amour et du hasard sont les mêmes dans la bourgeoisie du XVIème que dans la banlieue parisienne du XXIe siècle. Car ici, comme dans la pièce de Marivaux, les conflits amoureux sont souvent réglés indirectement, par la cour (valets ou potes) des différents protagonistes, les rencontres sont arrangées, les quiproquos et malentendus sont légions, les amours sont contrariés. L'Esquive est également un grand film sur la puissance (politique et érotique) du langage. Krimo, lui ne maîtrise pas le langage, ni dans la vie, ni au théâtre qu'il utilise pourtant pour tenter de se rapprocher de Lydia (la génialissime, et trop mignonne, Sara Forestier) dont il est amoureux. Le réalisateur démontre un talent de direction d'acteurs absolument prodigieux. Les acteurs sont parfaits, les joutes verbales sont d'une intensité et d'une énergie jubilatoires. La caméra, toujours placée où il faut, parvient à capter des gestes, des regards, des sourires qui en disent souvent plus long que tous les mots.