‘’Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban’’ est probablement le tournant de la saga cinématographique. Là où il est délicat de désigner le livre qui marque un tournant (car l’oeuvre de Rowling est d’une solide unité), nul doute qu’au cinéma, ce fut ce film-ci qui chamboula le ton de la série. Exténué par le tournage des deux premiers Harry Potter, Chris Colombus refuse de réaliser ce troisième film (il passe au poste de co-producteur). Plusieurs réalisateurs sont alors pressentis pour le remplacer dont Guillermo Del Toro (cela aurait été fou) et Kennegh Branagh, l’interprète de Gilderoy Lockhart (cela aurait été shakespearien). C’est finalement le mexicain Alfonso Cuaron qui accède au poste de metteur-en-scène, sur les conseils de Del Toro et de Rowling (laquelle avait apprécié les précédents films de Cuaron). Cette recherche d’un nouveau réalisateur explique sans doute pourquoi le film est sorti en juin 2004 et non en novembre 2003 (comme il aurait du sortir). Le changement d’ambiance déconcerta le public : pour un budget de 130 millions de dollars, ‘’Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban’’ engrangea un peu moins de 800 millions. Des trois épisodes, celui-ci est le plus coûteux et le moins rentable. c’est aussi l’un des meilleurs de la saga (si ce n’est le meilleur).
Après avoir gonflé sa tante comme un ballon, Harry entre en troisième année à l’école de sorcellerie Poudlard. Mais Sirius Black, un dangereux criminel s’est échappé de la prison d’Azkaban. Ayant été l’un des plus proches partisans de Voldemort, Black veut retrouver Harry pour venger son maître. Et si l’école est surveillée par d’effrayants détraqueurs, Harry est-il vraiment à l’abri de Black ?
‘’Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban’’ est le seul épisode à avoir des partis-pris très fort de mise en scène. Si chaque réalisateur avait un style propre, Alfonso Cuaron lui ne se soumet pas au projet mais soumet le projet à ses intentions. Jouissant d’une grande liberté, le Mexicain va complètement chambouler l’univers mis en image par Colombus. Le premier gros changement, c’est l’ambiance en général. Il y avait chez Colombus un séduisant académisme dans sa mise en scène. Cuaron livre un travail éminemment personnel. Il y a beaucoup moins de chaleureuses couleurs. Désormais, Harry Potter bascule dans la noirceur de manière presque définitive. Le nouveau directeur de la photographie Michael Seresin (qui travailla pour Alan Parker) crée une belle lumière argentée aux reflets bleutés. Lumière parfaite pour instaurer du suspense, et justifiée par le scénario (la lune et sa lumière joueront un rôle important dans le film). Nous voici dans un film nocturne où un réalisateur au style très prononcé ne s’interroge pas sur la manière de bien retranscrire un livre, mais sur la manière de livrer le meilleur objet cinématographique possible. Et il y parvient : ‘’Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban’’ est probablement le meilleur des huit films. Car Cuaron est gonflé dans ses partis-pris de réalisation. La magie naît notamment de l’élégance de la caméra de Cuaron. Colombus s’était déjà un peu lâché dans l’épisode 2, mais cette fois-ci, Cuaron y va à fond. Ses mouvements de caméra sont à eux-seuls des tours de magie. Le Mexicain n’hésite pas à créer de classieux plans séquences (son péché mignon) pas forcément visibles au premier coup d’oeil. On pense par exemple au plan où Arthur Weasley prévient Harry du danger que représente Sirius : la caméra les filme en pleine lumière dans une salle à manger, avant de les suivre derrière des piliers (où il y a un peu moins de lumière) pour terminer sa course dans un coin extrêmement sombre de la pièce. Ce plan est significatif de l’évolution des trois films. On commence avec beaucoup de lumière (‘’Harry Potter à l’école des sorciers’’) puis on va vers quelque chose de plus obscur (‘’Harry Potter et la chambre des secrets’’) avant d’aboutir à une absence de lumière (‘’Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban’’ et ses suites). Alfonso Cuaron confère des pouvoirs à sa caméra, dont rien ne semble pouvoir arrêter la gracieuse course. Elle n’hésite pas, grâce aux images de synthèse à traverser des mécanismes d’horloges, à suivre le vol d’un oiseau et même à traverser des vitres (voir le premier plan du cours de défense contre les forces du Mal). C’est aussi la première fois que dans un Harry Potter, la caméra est capable de filmer… presque rien. C’est ce qui fait de ‘’Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban une œuvre quasi-poétique : Cuaron s’attarde sur de minuscules détails (comme le saule cogneur qu’il filme pour montrer le changement de saison ou encore ces plantes qui gèlent quand les détraqueurs passent). Cuaron a entre autres l’art des transitions comme on peut les voir avec ces multiples ouvertures et fermetures d’iris (qui sort tout droit du cinéma muet). On peut dire sans se tromper que Cuaron fait une petite révolution dans la saga Harry Potter. Révolution aussi dans le décor. Plusieurs emplacements ont changé et Cuaron ne cherche même pas à le cacher. Bien au contraire, Cuaron semble vouloir se démarquer au maximum de son prédécesseur. Ainsi, là où la cabane d’ Hagrid se trouvait sur un terrain plat à quelques mètres du château, la cabane se trouve maintenant en bas d’une pente (le relief est plus important dans ce film que dans les deux premiers) près d’un potager absent jusqu’alors. On pourrait cataloguer l’apport et les changements opérés par Alfonso Cuaron : les têtes réduites, le changement physique total de Flitwick (car son apparence initial ne convenait pas à J. K. Rowling), même la baguette de Harry a changé ! Harry rentre dans l’adolescence, un âge où l’on voit les choses sous un autre angle, où l’on s’interroge sur soi-même… Ce thème est illustré par les reflets du visage d’ Harry. Plusieurs fois, Harry voit son visage dans un miroir et semble surpris par ce qu’il voit (comme quand il arpente les couloirs de nuit avant de sursauter face à un miroir, croyant voir quelqu’un). Le changement on le verra est illustré aussi par le scénario. Le changement, c’est aussi les vêtements plus décontractés et plus naturels des élèves de Poudlard. Le changement enfin, c’est celui qu’opère John Williams musicalement. Sa Bo se fait plus exotique, volontiers plus folle mais aussi parfois plus mélancolique. Le superbe thème ‘’A window to the past’’ renforce cette impression de douce mélancolie qui imprègne les belles scènes entre Harry et Lupin (se situant dans de nouveaux et apaisants décors de Stuart Craig). En ce qui concerne le bestiaire, si l’hippogriffe Buck n’est pas une simple bouillie numérique (quel regard expressif!), le design du loup-garou est malheureux. On dirait une mangouste géante… Cependant, les détraqueurs et leurs râles sont inoubliables. Certes, ce sont un peu les Nazguls d’Harry Potter, mais l’idée que tout gèle à leur passage est excellente. La volonté d’Alfonso Cuaron de faire un vrai film avant d’en faire un épisode de la saga est ce qui rend ‘’Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban’’ si intéressant d’un point de vue cinématographique.
Malheureusement, les complications commencent à apparaître pour le scénariste Steve Kloves. Il a le mérite de rendre le thème du livre : le changement d’Harry qui s’incarne à travers sa rébellion. Les scènes où Harry se révoltent sont là : Harry qui gonfle (littéralement) sa tante, Harry qui menace de sa baguette Vernon et met au tapis Rogue. Mais on remarque une chose : c’est à quel point le film est court. Le film sans le générique (d’ailleurs très original) fait 2h 04, ce qui fait de lui le plus court des trois premiers films. Or, le tome trois était le plus long des trois premiers tomes. Il est normal que Steve Kloves ait dû faire des coupes, mais ces dernières ne sont pas des plus pertinentes. On sent que Kloves (et Cuaron) ne se sont intéressés qu’à Harry. Ansi, il sacrifie via deux coupes non négligeables les personnages de Ron, d’Hermione et des Maraudeurs. Concernant Ron et Hermione, Steve Kloves supprime leur toute première brouille entre Ron et Hermione. Ron dans le livre est fou de rage envers Hermione qui aurait laissé son chat manger son rat. Dans le film, Ron et Hermione sont les grands perdants puisqu’en coupant ce nœud dramatique, Kloves fait de Harry l’unique protagoniste à connaître une évolution. Ron et Hermione n’ont plus de parcours dramatique. Mais la coupe la plus dérangeante est sans conteste celle des Maraudeurs. Dans le livre, Lupin explique dans un long monologue la forte amitié qui le liait à James Potter, Sirius Black et Peter Pettigrew. Dans le film, ce passage (même pour quelqu’un qui n’a pas lu les livres) paraîtra expédié. L’oubli étrange (car il aurait pu être évité au détour d’une phrase), c’est de ne pas dire que James, Sirius, Remus et Peter sont les Maraudeurs. Par conséquent, quelqu’un qui n’aurait pas lu s’interrogerait : d’où provient cette carte ? Qui sont les Maraudeurs ? Comment Lupin sait-il utiliser la carte ? Mais à la rigueur passons. On peut supposer que Steve Kloves ne voulait qu’aborder la personnalité d’Harry, et son entrée dans l’adolescence. Mais pourquoi alors avoir coupé les premiers élans amoureux d’Harry envers Cho Chang ? Le film comporte une courte séquence de quidditch, rien n’aurait pu interdire à Kloves d’introduire le temps d’une cette courte scène le personnage de Cho en début de match (comme dans le livre). Cet oubli peut sembler anodin. Pourtant, c’est bien dans le troisième tome (et non dans le quatrième où le cinquième) qu’Harry commence à avoir des sentiments amoureux. En gardant cet élément à l’écran (qui n’aurait pas coûté cher, n’aurait pas rallongé le film et en plus accentue l’évolution d’Harry), ‘’Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban’’ aurait pu être un vrai film sur l’entrée dans l’adolescence et ses émois. On est seulement au troisième tome, et Steven Kloves commence déjà à avoir des difficultés dans son adaptation.
Un autre point est grandement enrichi : la distribution. Le regretté interprète d’Albus Dumbledore Richard Harris, mort en 2002 est remplacé par Michael Gambon. Et, mine de rien, voilà encore un signe de changement d’ambiance. Harris faisait ressortir l’aspect merveilleux, presque kitsch de Dumbledore (style Père Noël). l’interprétation de Gambon est plus mesurée, il compose un Dumbledore plus ‘’réaliste’’ (toute proportion gardée). En ce qui concerne les nouvelle têtes, le spectateur est gâté. D’abord, il y a David Thewis. Il compose un Remus Lupin différent de celui du livre. D’aspect moins miteux que celui du livre, le Lupin de Thewis est très attachant et ses scènes avec Harry sur un pont et au bord d’un lac sont parmi les plus apaisantes de tous les Harry Potter. Emma Thompson quant à elle s’approprie tout-à-fait la foldingue professeur Trelawney (à tel point que l’actrice a elle-même dessiné le costume de son personnage). Gary Oldman convainc... plus en temps que gentil parrain qu’en fou échappé d’Azkaban. En effet, Gary Oldman surjoue pas mal dans les premières scènes où il apparaît. Sinon, il est clair que cette nouvelle distribution (auquel on peut ajouter le toujours imposant Timothy Spall) est la plus solide de toute la saga. Il n’en sera pas de même pour le quatre.
Chris Colombus était habile dès qu’il s’agissait de parler des enfants et aux enfants. Les premiers Harry Potter étaient donc faits pour lui. Mais l’entrée dans l’adolescence avec ses renouveaux méritait précisément un renouveau cinématographique. Le choix d’Alfonso Cuaron fut idéal : il parvient à saisir via sa mise en scène toute l’évolution d’Harry. Cuaron reste le seul des quatre réalisateurs à avoir fait d’ Harry Potter un film extrêmement personnel. Il fut aussi le seul à y laisser une patte virtuose et bourré d’idées (et qui ne sont pas les idées de Rowling). Hélas, le film est un peu entaché par l’adaptation de Steve Kloves, lequel commence déjà à perdre pied et à ne rendre que la surface des livres de Rowling. Quoique qu’il en soit, Harry et l’innocence, c’est fini. A l’instar de ce match de quidditch se déroulant sous un terrible orage (et non sous un beau ciel bleu), Harry Potter est dorénavant une saga pour (un peu) plus grand. J. K. Rowling dira d’ailleurs que ce troisième film est son préféré. On ne peut que lui donner raison.