« Voiture 8. Je vous le passe. »
Une fois de plus, le film s’ouvre sur une citation. Troisième et dernière collaboration (et pour cause) entre Jean-Pierre Melville et Alain Delon, le premier fait cette fois passer le second de l’autre côté de la barrière après ses rôles de tueur à gages (Le Samouraï) et de voleur (Le Cercle Rouge).
Comme souvent chez Melville, ce film se présente selon deux histoires parallèles qui finissent par se rencontrer quand deux personnages se croisent, un casse à moitié raté et le quotidien d’un flic de nuit, l’occasion, dans cette partie-ci, de décrire toute une galerie de personnages en forme de fresque baroque : des joueurs de poker, les clients d’un hôtel de passe, un riche homosexuel, un travesti, ces deux derniers étant représentés objectivement, voire avec bienveillance, ce qui est rarissime pour une époque préférant la condamnation morale ou le rire gras. C’est d’ailleurs une constante dans le cinéma noir de Melville, le souci constant du regard neutre : flics, voyous, indics, quidams, personne n’est jamais complètement bon, jamais complètement mauvais, juste des gens qui évoluent devant la caméra du maître, qui semble porter, à travers ce choix même de la neutralité, un regard assez critique sur la morale bourgeoise. Comme pour la présentation, fugace, de l’homosexualité et de la transidentité (rappelons que nous sommes en 1972!), ce choix détone par rapport au cinéma noir de l’époque, beaucoup plus stéréotypé voire réactionnaire (Lautner, Audiard).
Un peu moins visuellement recherché que les autres films de Melville, celui-ci a en outre la particularité de proposer des effets spéciaux très approximatifs (les décors en 2D d’une rue de Paris, le train Paris-Lisbonne en version Märklin et l’hélicoptère-jouet). Peut-être est-ce là un ultime hommage du réalisateur résolument moderne au cinéma du début de siècle ? Les scènes, enfin, sont toujours aussi lentes et méticuleuses dans la description de tout petits détails afin de relever la cohérence de chacune (cohérence toute relative, d’ailleurs), hélas sans toujours penser à la cohérence générale de l’oeuvre. Celle de l’attaque du train fait immanquablement penser à la scène du casse dans Le Cercle Rouge : à peine 3 phrases prononcées en 20 minutes.
Melville nous offre un dernier film dans la lignée de ses précédents mais avec un soupçon d’âme et de chaleur humaine en moins, un peu plus de lenteur inutile en plus.