Une course-poursuite entre la police et la pègre pour retrouver un troisième homme n'est pas un scénario très original, et c'est même à se demander pourquoi ses divers éléments ont été autant repris après "M le maudit". Ce que les films ultérieurs qui ont réutilisé la même trame n'ont en revanche pas conservé, c'est sans doute ce qui fait le plus grand intérêt de "M" : ses emprunts à la tragédie classique. Unité d'action : tout le film tourne autour de l'identification puis de la traque du meurtrier, sans que jamais aucune intrigue secondaire, amoureuse ou psychologique, se greffe à la première. Unité de temps : un laps relativement court d'un temps qui se fait par ailleurs de plus en plus déterminé. Unité de lieu : Berlin vers 1930 – ses rues, ses immeubles, ses bas-fonds, son commissariat, ses usines désaffectées. À cette triple unité s'ajoutent les passages obligés de toute tragédie, comme le plaidoyer final de Beckert. Tout est fait comme s'il y avait cinq actes dans M le maudit : même si le film n'a pas été conservé au complet, sa structure apparaît clairement. Cette structure soignée est par ailleurs renforcée par la présence de leitmotivs visuels – les ballons, la lettre M – et sonores – l'air de Grieg siffloté par le meurtrier. Enfin, comme toute bonne représentation de tragédie, M est servi par ses interprètes, au premier rang desquels le parfait Peter Lorre.
Ce que j'ai trouvé le plus faible dans "M le maudit" – et je sais que c'est ce que certains spectateurs ont retenu en priorité –, c'est ce qui peut tenir lieu de « morale ». L'argumentation déployée lors de la scène finale du « tribunal de la pègre » – sans doute la meilleure du film par ailleurs – ne m'a pas paru devoir mener à une conclusion claire. Certes, Beckert affirme être obligé de tuer, mais j'ai vu dans son attitude, d'un point de vue dramatique un passage obligé de tragédie, et d'un point de vue psychologique la dernière cartouche d'un homme aux abois. Le « dilemme » entre une exécution et une remise à la police qui déboucherait sur un internement dans un asile ? C'est oublier que la folie est un thème artistique récurrent de l'époque, et qu'elle est par ailleurs un moteur narratif très efficace. Dans le même ordre d'idées, je ne pense pas que l'on puisse tenir l'attitude de la pègre berlinoise pour une « morale » consistant à dire que de glorieux bandits sont plus organisés, plus efficaces et plus moraux que la police : ils ne traquent pas le meurtrier parce que leur sens moral les y pousse, mais parce que son attitude nuit à leurs affaires ; leurs paroles l'indiquent : ce n'est pas l'assassinat en soi qui les rebute. La pègre représentée dans le film n'est même pas loin de préfigurer les nazis : goût pour l'action de masse, l'organisation méthodique, le mouchardage et l'exécution des malades mentaux, et oubli de ses propres crimes lorsqu'il s'agit de faire marcher le commerce...
Si conclure quelque chose de "M le maudit" en termes de morale me paraît proche de l'anachronisme, il n'en est (paradoxalement ?) pas de même en ce qui concerne la réalisation. (Une précision cependant : j'ignore si les passages muets ou les passages en accéléré le sont de façon voulue, ou s'il s'agit d'une bande détériorée.) Bien sûr, le goût de l'ellipse est plus présent en 2011 qu'en 1931, ce qui cause quelques longueurs. Mais en dehors de tout cela, le film ne perd rien de son impact en ce qui concerne la réalisation : tout le langage cinématographique est là. Cette réalisation extrêmement soignée, parfois marquante – voir la séquence où le spectateur suit le meurtrier après que celui-ci a raté son coup – est aujourd'hui encore hors de portée de bien des cinéastes. La maîtrise de cet outil permet alors de filmer avec maestria non seulement les hommes, mais aussi la ville : bien avant les "cités" et les "suburbs", les bâtiments et les rues de Berlin sont un décor tellement présent qu'il devient un personnage.