Une jeune femme assiste au procès d'un homme accusé d'avoir torturé et tué trois jeunes filles. Les sévices ont été filmées et rendues accessibles sur le dark web moyennement gros paiement. Les preuves irréfutables le concernant manquent. L'accusé en question plaide non coupable.
Le premier plan séquence du film, magistral, et qui se déroule seulement dans la salle où le procès se tiendra durant plusieurs semaines, commence sur la jeune femme, dont on apprendra plus tard qu'elle s'appelle Kelly-Anne et dont on ignore tout, et s'achève sur elle : le génie est de parvenir à transférer toute la tension non pas sur le coupable présumé, mais sur cette jeune femme qui nous fascine déjà complètement alors qu'elle n'a pas dit un seul mot.
Cela faisait bien longtemps qu'un thriller ne m'avait pas autant happée, et qu'une montée en puissance du suspense ne m'avait pas parue si maîtrisée parce qu'aussi insupportable que jubilatoire pour moi.
Pascal Plante excelle dans l'art des angles morts, et s'en sert pour rendre son film encore plus intenable. Des sons parviennent à emballer nos tripes plus fortement encore que des images.
"Les chambres rouges" est un excellent film, toujours très fin, et très bien documenté sur le sujet dont il traite (I have been pwned, un énorme clin d'œil qui prend tout son sens...).
On a rarement vu un personnage être aussi bien travaillé que celui de Kelly Anne, et aussi peu de dialogues pour présenter ce qu'elle est.
Ici s'en suivront des spoilers pour ceux qui ont vu le film :
[/Spoiler]: quelle prouesse que de penser à lui faire raconter cette anecdote de programmation de son IA. "Guenièvre, Should I kill myself" ? Dit tout de la détresse non conscientisée de cette jeune femme moins impénétrable qu'il n'y paraît.
J'ai lu qu'il était frustrant de ne pas comprendre ses motivations.
Et pourtant ses motivations, bien que portées par une personnalité pathologique, sont claires : permettre de prouver la culpabilité de l'accusé.
Je crois que Kelly Anne pleure au début du procès parce qu'elle partage avec cet homme plusieurs points communs, ce dont elle manque cruellement dans sa vie réelle (et plusieurs fois dans le film on verra que ça lui manque et qu'elle cherche une proximité qu'elle ne peut jamais obtenir indéfiniment parce qu'on finira toujours par la trouver bizarre. Les seuls moments où elle se sent aimée ont l'air d'être ceux où elle est photographiée, et elle collectionne alors ces moments) et qu'elle sait qu'elle va le faire condamner.
Elle est définitivement empathique, et c'est je pense pour nous montrer cette part d'elle qu'existe le personnage de Clémentine. Elle ne lui doit rien, elle pourrait rester froide à son égard lorsque les dos sont tournés, mais elle ne le fait pas. Elle pourrait laisser dormir Clémentine dehors, mais elle la rattrape, alors qu'elle n'en a clairement pas envie sur le moment. Etc.
Kelly Anne est une femme très perturbée, qui ne sait pas se comporter comme les autres (elle a quelque chose de très proche d'asperger), qui manque de liens sociaux, mais elle agit malgré tout pour le bien des autres, peu importe qu'elle les trouve stupides ou non (on voit bien le regard chargé de mépris qu'elle lance lorsqu'elle s'aperçoit à quel point la mère de Kim ne prend aucune précaution pour protéger ses codes). Elle est incapable de prédire les émotions des autres, mais sait comment obtenir ce qu'elle cherche : elle est quasiment certaine que l'accusé est bien coupable, mais je suis convaincue qu'elle s'habille de la sorte pour croiser son regard et être enfin sûre qu'il s'agit du même regard que celui qu'elle a vu dans les vidéos, avant de tout claquer pour obtenir la dernière. [\Spoiler]