Il est rare de voir un réalisateur réinventer un genre. C'est ce que fait magistralement ce film entre thriller et film d'horreur. Pourtant, pas une goute de sang, pas une scène violente ou même d'action et malgré tout, de purs instants d'effroi. Comment est ce possible? Une mise en scène intelligente qui sait amener subtilement à l'épouvante sans effets grand-guignolesque et des actrices brillantes, sobres mais tellement justes, mention spéciale à Juliette Gariepy. Elles incarnent les "groupies" du tueur présumé, accusé d'un triple massacre d'adolescentes qui se serait déroulé dans une de ces fameuses chambres rouges, lieu fantomatique flottant dans les limbes funestes du Dar web où des inconnus payent pour assister, devant leur écran, à ces carnages. La camera se désintéresse très vite du principal accusé pour suivre ces deux jeunes femmes, dont la fascination morbide est le moteur unique du climat anxiogène qui émane du film. Pourtant si chez l'une des deux, la motivation est évidente, elle est persuadée de l'innocence de l'accusé, ce qui motive l'autre est totalement sibyllin. On navigue ainsi dans les méandres de son esprit (pour le moins tordu) et au final, a-t-on saisi réellement ce qui la motive? Même si sa démarche semble prendre sens, un doute est volontairement entretenu. On trouve dans une narration nouvelle tous les codes du cinéma d'horreur.
En effet, deux personnages principaux, jeunes femmes innocentes, l'une extravertie, qui semble armée et forte, l'autre presque perdue quand le micro lui est tendu, et pourtant, l'horreur révèlera chez la première, la fragilité qui en fera la victime, mais au lieu d'être massacrée par un psychopathe comme dans tout film classique, elle disparaitra de manière bien plus subtile,
ensuite, comme dans de nombreux films du genre, des meurtres abjects dont aucun détail ne nous est épargné sauf que restés totalement invisibles au spectateur. On les subit malgré tout, un échange de procès ou l'avocat du parti civil donne l'ensemble des détails du modus operandi du tueur, une projection vidéo en salle de tribunal, que le spectateur comme les deux jeunes femmes est condamné à suivre de l'extérieur, seuls filtrent les cris effroyables des victimes et les réactions de l'assistance,
une maman qui quitte la salle anéantie, une équipe de secouriste qui vient réanimer un autre spectateur du cauchemar filmé et enfin les fameuses vidéos vues par les deux jeunes femmes.
Là, si elles assistent enfin à l'effroyable séquence,
la camera se focalise sur leurs visages aux expressions bien différentes, c'est de ce décalage entre les deux expressions qui est glaçant, l'extravertie qui s'effondre et l'autre qui demeure impavide,
enfin, dernier code, la descente aux enfer, la quête de la vérité où l'on va chercher les forces occultes, la tanière des monstres,
ici, c'est une exploration des fantômes du Dark Net, s'ils restent invisibles, ils n'en sont pas moins terrorisants.
Bref, j'ai adoré ce film pour toutes ces raisons, évidement, l'incroyable scène du tribunal ou la jeune femme aura enfin eu raison de l'immobilité chronique et de l'inexpressivité de l'accusé. A voir et à revoir... d'ailleurs, j'y retourne!!!