On connaît l'excellence du cinéma de Kore-Eda (Tel père, tel fils, Une affaire de famille, Les Bonnes étoiles...), et on rentrait dans la salle du Palais des Festivals assez confiant, mais le grand Monsieur a réussi à nous surprendre encore. On démarre sur un enfant qui rentre de l'école couvert de bleus, qui accuse son professeur, et un professeur à l'attitude étrange qui accuse, lui, le gamin d'être un tortionnaire de ses camarades, et de n'être pas assez autoritaire pour séparer les bagarres. Au milieu, flottent une administration scolaire qui fait l'autruche, une maman désespérée qui ne sait plus qui croire, des camarades de classe aux discours embrouillés, une police qui ne comprend rien à ce qu'il se passe, et une situation qui empire de jour en jour (jusqu'à un drame ?). D'emblée, on vous l'avoue : on a été embarqué dans l'histoire très mystérieuse, assez triste et violente, à hauteur d'enfants mais aussi d'adultes, et surtout on a été effaré par l'intelligence de confrontation entre les trois points de vue principaux. Monster (L'Innocence) se découpe en trois parties, selon les personnages qui racontent ce qu'ils ont vu, sans jamais nous mentir, et s'obligeant donc à un impressionnant système de hors-champs ou de quiproquos dans les dialogues pour parvenir à créer des fausses pistes, des révélations sur ce qu'un personnage a mal interprété, et nous laisse sans arrêt béa devant les twists qu'on ne voit pas venir (pour certains : heureusement qu'on était déjà assis). On vous alerte quand même sur un non-sens absurde extérieur au film : n'allez surtout pas vous renseigner sur les Prix reçus par le film, il y en a un qui récompense ni plus ni moins que le twist final (
l'homosexualité du gamin, malheureusement la cause de tout le bazar, dans un Japon où le sujet reste compliqué...
), le bouquet qui conclue les 2h10 d'hypothèses en tous genres que l'on est amené à faire... Allez-y sans rien savoir, pour pouvoir vous triturer les méninges en essayant de donner raison à la version de telle ou telle personne, toujours persuadé d'avoir trouvé la solution, et constamment trompé (dans le bon sens) par un brillant scénario à twists. Les acteurs, qu'ils soient les enfants ou les adultes, sont stupéfiants de vérité, et offrent tour à tour un visage parfait pour le coupable et l'innocent (la même scène, mais avec des infos différentes : on en veut à mort à tel personnage, puis on se trouve bête de n'avoir pas compris son innocence). La musique est enveloppante, le rythme impeccable, et on ressort de Monster en sachant avoir vu un film surdoué dans sa construction en trois parties qui se contredisent avec une pertinence incroyable. Le twist final a du cœur, pense à un monde fait de bienveillance où l'on n'aurait plus besoin de tant de secrets qui peuvent mal tourner, réfléchit à la tristesse de voir un enfant malheureux pour un problème qui n'en est pas un, et nous interroge constamment, nous, spectateurs, sur notre propre capacité à juger en un clin-d’œil, et se tromper lamentablement. Dans le monde généreux de Kore-Eda, le "monstre" ne demande qu'à
sortir (littéralement) du placard
où la société l'enferme.