Des femmes dans la tourmente
Thierry De Peretti est corse. Er la Corse, c’est le sujet principal de ses films, à part Enquête sur un scandale d’état, en 2020. Retour sur l’île de beauté avec ce portrait sans concession d’un combat sans fin. Fragments de la vie d’Antonia, jeune photographe de Corse-Matin à Ajaccio. Son engagement, ses amis, ses amours se mélangent aux grands événements de l’histoire politique de l'île, des années 1980 à l'aube du XXIe siècle. C’est la fresque d’une génération. 113 minutes d’un beau réquisitoire contre la violence et un plaidoyer en faveur des victimes collatérales… les femmes.
Le film est adapté du roman éponyme de Jérôme Ferrari. Si, les événements politiques qui rythment le récit sont historiques (ils appartiennent aussi à mes propres souvenirs d’enfant et d’adolescent) : l’affaire Bastelica-Fesch, le double homicide de la prison d’Ajaccio, la mort de Robert Sozzi, la scission au sein du FLNC… les personnages, eux, relèvent de la fiction. La voix-off omniprésente peut finir par être envahissante mais sert, visiblement, de lien avec le texte du livre lui-même. Le scénario ose pointer du doigt les incohérences d’une lutte armée souvent aveugle, allant jusqu’à la stigmatiser quand on entend dans la bouche des clandestins naître le concept d’autodéfense préventive… L’oxymore serait plaisant s’il ne se traduisait pas par des morts violentes et inutiles. Ce qui m’a le plus séduit, outre la mise en scène, le rythme et l’évolution des personnages sur une durée de 15 années, c’est la parole laissée aux femmes dans une région où le patriarcat relève du sacré. Et en plus, ces femmes prêchent la vérité et la sagesse. Ce qui m’a gêné, ce sont les nombreuses ellipses qui nuisent parfois à la compréhension de l’histoire – exemple, pourquoi cette scène où l’héroïne se retrouve sur un lit d’hôpital, sans qu’on sache le pourquoi du comment -. Mais je pinaille, car la grande fresque romanesque et théorie développée sur le rôle de la photographie tiennent parfaitement la route. Un récit brut des années de plomb dans une Corse victime du nationalisme mortifère.
Les actrices, et les acteurs présents au casting, Clara-Maria Laredo, - remarquable, Marc'Antonu Mozziconacci, Louis Starace, Barbara Sbraggia, Saveria Giorgi, et Thierry de Peretti, lui-même, dans le rôle du prêtre, sont tous dans la vie particulièrement imprégnés de la réalité contemporaine de la Corse. Ils donnent corps et crédibilité à ce récit entre fiction et archives. Le film porte un regard sans concession ni illusion sur l'utopie de la rébellion indépendantiste. Très fort, profond et surtout désespéré.