À son image, le chant du peuple Corse
À l’heure de l’intelligence artificielle, comment écrire une critique de film qui ait de la valeur ?
Eh bien, souvent, la valeur réside dans ce qui différencie la machine de l’individu, sa capacité à ressentir et à avoir lui même vécu des expériences subjectives, pleines d’erreurs et de révélations.
Le film aborde de façon vibrante, les épreuves qu’un peuple, le peuple corse, a surmontées dans la douleur, la tradition et l’abnégation.
Ce film, À son image, est une adaptation du réalisateur Thierry de Peretti du livre éponyme. L’actrice principale Clara-Maria Laredo, 21 ans, Corse, joue ici son premier rôle, est engagée en politique et est autonomiste. Ce film est son combat.
Emprunt de mélancolie, il transmet un message profond. C’est une plongée dans les années 80. Nous suivons les pas d’Antonia, jeune Corse pleine de douceur et d’énergie, qui vit le grand amour avec un indépendantiste du FLNC. Elle est photographe pour Corse-Matin et ses images gravent dans la mémoire collective les grandes heures du mouvement. On est amené à assister impuissant à une violence assourdissante et à une tombée en enfer des héros maudits. Cette violence contraste avec l’apparente innocence d’Antonia qui se compromet en prenant ses photos. Sa conscience parlera et elle fera ses adieux après que son compagnon ait passé tant de temps en prison.
On pourrait être admiratif devant le courage de ces Corses qui se battent avec vigueur. Ils risquent leur vie pour la défense de l’identité corse, un peuple qui ne veut pas mourir. Il faut « se tenir droit », tel est leur destin. Ils ne veulent pas de la puissance coloniale vomie sur leurs côtes. La sève des pins de la Corse coule dans leurs veines.
« Mais est-ce ça être un homme ? », lance avec vivacité Antonia. Je n’ai pas le droit, moi Jean Rosset, en tant qu’homme, de soutenir ce mouvement pourri à la racine. Ils ont commis de grandes fautes et la violence n’est jamais acceptable. La lutte par le verbe et le dialogue prend plus de temps, de patience, mais construit un édifice avec des bases viables.
À son image a une forte dimension morale qui est prégnante dans l’esprit des combattants. Comme toute réflexion morale, la difficulté réside dans les zones grises, le moment où les choses semblent floues, où des compromissions semblent nécessaires. Chacun de nous, qui que nous soyons, portons en nous cette tension entre compromissions et droiture.
Le film rappelle aussi la tension que le monde connait aujourd’hui. Une tension entre la mondialisation extrême avec ses Jeff Bezos, McDonald’s et ChatGPT et de l’autre le chant du cygne des identités régionales.
Le mouvement indépendantiste corse a connu les mêmes ressorts que la plupart des cultures ayant lutté par le passé pour leur survie. Certains ont choisi le bon chemin. Mais d’autres sèment un chaos qui gangrène le monde, de la Russie de Poutine au Hamas en Palestine.
Le fait qu’Antonia soit photographe n’est pas anodin. C’est un miroir de la société où il y a une prise de distance du flot agité du monde et une compréhension de la condition humaine. Les photographies expriment à la fois les actions clairement apparentes et les messages cachés. Nous sommes les yeux d’Antonia qui voient et ressentent l’histoire. La vie est fragile, mais puisque nous la vivons, que notre cœur bat, que nos pensées s’agitent, nous sommes responsables.
Le titre du film, À son image, est sibyllin. Il est probablement un appel à ressembler au Créateur.
Le film se clôt par une musique corse d’une grande puissance et charge émotionnelle. C’est la voix de la liberté et du courage. Cette époque est révolue, la sérénité règne dans l’île, mais ses idéaux lui ont survécu et des milliers de Français en ont hérité. E per tutta a Corsica : libertà !