Nanni Moretti n’est pas vraiment ce qu’on pourrait qualifier de « vieux cinéaste », même si à (seulement) 69 ans, le maestro trône sur près d’un demi-siècle d’une carrière ininterrompue à la cohérence affolante. Ce nouvel film invite à faire des bilans voire à boucler des boucles, comme un film testament… Moretti se plaît à se mettre en scène comme un homme qui ne mesure pas combien son statut, son autorité et sa magie vacillent. Avec toutes les vertus comiques de ce retard accumulé entre sa perception et la réalité.
L’épouse et productrice depuis quarante ans (incomparable Margherita Buy) plus très aimante, évoluant dans l’ombre de son mari cinéaste envahissant, prépare en secret son départ du domicile conjugal, avec l’assistance d’un psychanalyste. Pour la première fois, elle produit, de surcroît, le film d’un autre réalisateur, jeune, adepte de la violence à l’écran, aux antipodes de Giovanni mais qui ne se prive pas de lui donner des leçons… Sa fille, désormais compositrice, s’embourgeoise, et a un amant polonais qui a trois fois son âge, elle en a marre de ses lubies et de ses rites, comme celui de regarder en famille le « Lola » de Jacques Demy à chaque veille du tournage d’un nouveau film… (mais il n’en tourne qu’un tous les cinq ans !!) Son producteur français désargenté (Amalric aussi sautillant qu’agaçant et vraiment pas indispensable ) lui organise un rendez-vous ubuesque chez Netflix, afin de potentiellement sauver le film de Giovanni…séquence assez drôle, nourrie de néologismes anglais et d’une utilisation abusive du mot « produit », jusqu’à ce qu’une question de l’un des employés de la multinationale fasse déborder la scène. « Quel est l’arc narratif du personnage ? Comment évolue-t-il ? », et Giovanni de répondre : « Dans la vie, on ne change jamais vraiment. Il n’y a qu’au cinéma que les gens changent…
Giovanni croit encore à ses idéaux passés, au communisme rêveur et triomphant… Et l’aveuglement du vétéran rime, de manière ironique, avec celui qu’il a inscrit au cœur de son scénario, situé en 1956 : des communistes italiens hésitent à condamner l’invasion de Budapest par les chars soviétiques, au moment même où ils accueillent un cirque hongrois à Rome…
Dans un chaos complet, non dénué de grâce pour qui le contemple depuis un fauteuil de cinéma, « Vers un avenir radieux » devient le film de toutes les crises : du couple, de la soixantaine finissante, du cinéma, de la gauche italienne, que Moretti a si longtemps personnifiée… Mais loin de la tragi-comédie parfaitement huilée, le résultat frappe d’abord par le poids de confessions, de rage et l’énergie du désespoir dont le cinéaste le charge. L’artiste, manifestement, ne supporte plus grand-chose, ni l’inculture de ses nouveaux collaborateurs, ni les décisions politiques qui ont conduit l’Italie à devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Quant à son propre état psychique, il est troublant d’entendre Giovanni, au pied du mur, avouer à sa fille son addiction aux somnifères et aux antidépresseurs.
Le réalisateur rend hommage à Fellini, à Scorsese, convoque l’architecte Renzo Piano, réfléchit sur le devenir du cinéma, égrène rengaines populaires et citations de son œuvre passée tout en ayant l’élégance de nous amuser.
Nanni Moretti, connu pour ses diatribes philosophiques et sa manière bien à lui de se mettre en scène, retourne une nouvelle fois la caméra pour une mise en abyme chargée de nostalgie sur le cinéma, l'engagement politique et le monde qui change. Les légendaires obsessions morales du cinéaste italien sont là mais la drôlerie se révèle plus généreuse et rafraîchissante et l’humour plus que jamais sert d'antidote à la désespérance