Joachim Lafosse propose un film inspiré par une réelle affaire survenue en Belgique, au moment du procès Dutroux. Si j’ai bien compris, il est resté étroitement fidèle à ce fait divers tout en le délocalisant en France et un changeant les noms. Dans sa forme, « Un Silence » ne manque pas de qualités mais soulève aussi quelques petites incompréhensions. Le film est un immense flash back, on commence par la fin ou presque :
Raphaël, à peine 18 ans, vient d’être arrêté pour avoir poignardé son père. Sa mère Astrid, déboussolée et mutique, semble considérer silencieusement que cela est arrivé en partie à cause d’elle.
Voilà, le film est lancé
et cette fameuse scène de tentative de meurtre nous sera montrée en longueur, à quelques encablures de la fin du film.
Joachim Lafosse aime bien le hors-champs, il aime qu’on devine les réactions de ses comédiens en les suggérant derrière un écran, de dos, dans un rétroviseur, au téléphone, etc… Cela ne manque pas d’intérêt, c’est une manière de suggérer au lieu de montrer qui est toujours efficace au cinéma. Ce que je comprends moins en revanche, c’est sa manie d’étirer comme un long chewing-gum certaines scènes, au-delà, bien au-delà, du nécessaire. Un exemple : la scène d’ouverture où on voit Astrid conduire, les larmes aux yeux dans le rétroviseur. Sans explication, sans dialogue, on la voit tourner, s’arrêter, manœuvrer, mettre son clignotant, sa garer, et cela pendant presque deux longues minutes. Des scènes comme celles-là, il y en a légion, comme la scène en boite de nuit (trop longue), ou la voiture de police qui doit s’y prendre à quatre reprises pour faire un demi-tour. Il y a aussi un nombre étonnant de scènes de gens en train de conduire filmés de la plage arrière. Je ne sais pas pourquoi cela m’a sauté aux yeux, que ces scènes soient dialoguées ou non, capitales ou simple transition, ils semblent tous toujours en train d’aller en voiture d’un point A à un point B, c’est curieux d’en avoir parsemé le film à ce point ! Mais bon, c’est un peu anecdotique quand même, cela n’enlève rien à la pertinence du film. Le casting se compose essentiellement d’Emmanuelle Devos, Daniel Auteuil et Matthieu Gallou. Les deux premiers ont des rôles très difficile à jouer, peut-être parmi les rôles les plus difficiles qu’ils aient eu à endosser. Daniel Auteuil incarne un avocat-star,
qui se sert d’un fait divers abominable pour couvrir ses propres turpitudes, un type au cynisme total, très vite antipathique et même franchement détestable au fur et à mesure du long-métrage.
Il lui a fallu beaucoup de courage et de recul pour incarner
sans complaisance et sans voyeurisme cet avocat friand de vidéos ignobles.
Emmanuelle Devos a elle-aussi un rôle difficile qu’elle assure avec talent (et ce n’est pas évident), celle de la complice par le silence, celle qui sait et qui tait. Par peur du scandale, par confort matériel, par lâcheté, par naïveté, pour tout cela à la fois, elle sait tout, elle ne dit rien. Même quand elle n’aura plus le choix, devant la police, elle murmure, esquive, elle lâche quelques hochements de tête, difficile d’en tirer davantage. On voudrait la plaindre, on a du mal. Matthieu Gallou, compose un adolescent à problème, insondable comme le sont les adolescents, on n’arrive pas bien à savoir ce qu’il sait, ce qu’il pense.
Si on met entre parenthèse la scène finale de tentative de meurtre (dans laquelle il surjoue quand même pas mal),
il s’en sort bien. Le scénario est assez malin. Si on ne sait rien de l’intrigue en entrant dans la salle, on voit de dessiner scènes après scènes une réalité bien vilaine. C’est par petite touche, fil après fil que le scénario ne fait découvrir ce secret dévastateur. C’est comme un dessin que l’on voit apparaitre en reliant des points, au début cela ne ressemble à rien puis trait après trait, on comprend. On comprend
que cet avocat n’a pas choisi de défendre ces parties civiles par pure grandeur d’âme et de sens de la Justice. Il faut quand même une dose massive de cynisme pour dénoncer devant les caméras les odieux complots couverts par les puissants, se dire victime d’un pouvoir occulte et d’une Justice dévoyée pour ensuite s’abriter piteusement derrière la prescription des faits !
Ce n’est pas tant le silence qui est au cœur du film que le cynisme (lui) et la lâcheté (elle). Quand bien même le film n’est pas parfait, son scénario et la qualité de son casting emportent le morceau et nous fait plonger au cœur d’une famille en bien lisse et respectable en surface, et parfaitement pourrie de l’intérieur.