L’hésitation sur ce qui différencie le secret du mensonge, redoublée par une sortie de la salle au beau milieu de l’épreuve, s’incarne en la figure de Madeleine, au doux nom biblique rappelant l’engagement d’une femme et sa fidélité à des idéaux qui transcendent ses intérêts personnels, en témoignent les réécritures successives du discours relatif à la loi que porte Gabrielle. En effet, le film engage son personnage sur un chemin de croix, avec une succession de tableaux correspondant aux retournements de situation divers, représente la politique comme un vaste jeu de dupes au sein duquel s’enlacent puis se confondent les notions de réalité et de fiction explicitées dès les premières minutes par le père d’Antoine, avocat réputé pour ses affinités capitalistes.
Deux mondes s’opposent, non sans manichéisme : celui des riches bourgeois, auquel appartient Antoine, et celui des laissés pour compte, dont est issue Madeleine ; le coup de fusil résonne à la manière d’un tremblement de terre pour ces deux milieux qui s’efforcent de l’exploiter au moment opportun, dans un mélange de traumatisme et de manipulation, de secret et de mensonge, en somme. L’échiquier politique se transpose sur les incertitudes du cœur, la jeune ambitieuse refuse le réel, perd la connexion avec ses interlocuteurs, ce que la mise en scène transcrit par de nombreux gros plans où les yeux de Rebecca Marder en disent plus que ses paroles.
Cette intelligence de propos donne lieu cependant à une lourdeur d’exécution, le film veillant à signifier et à expliciter chacun de ses enjeux, chacun de ses symboles placés là pour une bonne raison – par exemples,
la couverture rouge et le stylo, de la même couleur d’ailleurs
. Le discours sur l’hérédité semble emprunté au naturalisme zolien : la fille s’adonne à la cigarette et ressemble ainsi à son père, l’illégalité les rassemble tous deux tel une marque des pratiques inhérentes à leur milieu social… Thérèse Raquin apparaît par le
fantôme du Corse venu hanter le couple et prendre la place de l’aimé
. De plus, l’entrelacs de la chronique et du thriller demeure artificiel et ne conduit jamais De Grandes espérances à composer une forme singulière apte à les fusionner. Reste un casting de grande qualité, qui contribue beaucoup à notre immersion dans un récit sinon prévisible.