Loin de toute polémique, le mieux pour se faire une idée sur un film c’est encore de se déplacer et d’aller le voir, le reste c’est de la (mauvaise) littérature. Le réalisateur Mathieu Vadepied nous propose donc un film sur la Grande Guerre, un de plus, mais cette fois-ci sous l’angle des combattants noirs, appelés tirailleurs. Son film débute par un flash forward un peu inutile, qui donne malheureusement immédiatement une idée de comment le film va finir. Ensuite direction le Sénégal avant d’entamer le cœur du film, les tranchées. Filmer la Grande Guerre, beaucoup l’ont déjà fait avant lui. Les scènes de peur dans les tranchées, les pieds dans la boue et les rats, les scènes d’assaut avec les gerbes de terre qui engloutissent tout, les balles qui fusent, fauchent, les explosions qui mutilent, tout cela Mathieu Vadepied le fait bien, mais avec parcimonie. Au final les scènes de combats seront à la fois brèves et assez rares, Vadepied filmant davantage les états major, l’arrière, les permissions et l’entrainement. Cela ne me pose pas un problème fondamental, puisqu’en très peu de scènes de combat, toute la violence et la mort sont là, montrées clairement et sans fausse pudeur. Le film est bien calibré, sans scènes interminables pleine de pathos comme ça aurait pu être le cas. En fait, les relations père-fils sont filmées ici avec beaucoup de retenue, sans envolées lyrique et discours lénifiant. La musique d’Alexandre Desplat est très chouette, parfois un tout petit peu envahissante mais c’est un problème que l’on rencontre dans beaucoup de films. La reconstitution est soignée, la photographie aussi. Je ne sais pas à quelle période le film est censé se dérouler, pas très loin de la fin de la Guerre visiblement, mais pour une fois, on ne filme pas les tranchées sous une pluie diluvienne permanente ou une neige envahissante pour appuyer les effets. Ici, même parfois il fait beau, et ça n’enlève rien à la dramatisation de la Guerre ! Omar Sy et Alassane Diong campe donc ici un père et un fils dont la relation se tend au fil du temps et de la montée en grade de Thierno, sans pourtant jamais se rompre, même si par moment on pense que cela va être le cas. Je ne vois rien à redire à leur composition. Omar Sy ne joue qu’en peul, son personnage ne parlant pas le français. Alassane Diong joue dans les deux langues puisque Thierno a appris le français dans les écoles coloniales. Finalement, même si ce n’est jamais réellement formulé, c’est peut-être dans la langue que se situe la clef du changement d’attitude de Thierno, qui comprends les enjeux de cette guerre peut-être un tout petit peu mieux que son père. On notera aussi le rôle important très bien occupé par Jonas Bloquet, lieutenant blanc d’un régiment noir, fils de gradé
et qui a lui aussi des difficultés avec son père, des difficultés d’un autre ordre qui lui feront prendre des décisions funestes.
Le scénario de « Tirailleurs » autant que je puisse en juger, ne manque de respect à personne, ne caricature personne, ne falsifie en rien l’histoire des tirailleurs et de la Grande Guerre. Il montre parfaitement bien comment ont été enrôlés de force les indigènes (dans c e qui s’apparente à une chasse, ce qui donne le ton), comment on les a organisé en bataillons noirs au lieu de les mélanger aux autres combattants, comment on les a souvent envoyé en première ligne, comment certains ont légitimement eu envie de déserter, comment d’autre ont gagnés courageusement leur galons au front. Il ne manque finalement que l’après-guerre, quand on a « oublié » de leur enlever leur statut d’indigène (pour mieux remettre ça en 1943). La cohabitation père-fils au sein d’un même bataillon est une incongruité de départ : quelle chance que deux incorporés le même jour,
dont la première évasion ensemble à échoué
, aille au front dans même bataillon, quand on connait la longueur du front en 1917 ? Il faut accepter ce postulat pour entrer dans l’intrigue. Après, même si le scénario est un tout petit peu attendu, même si on devine vite comment les choses vont évoluer, même si il y a un ventre mou dans ce film qui fait qu’à un moment, ça tourne un tout petit peu à vide, « Tirailleurs » tient la route. C’est un film de guerre tout à fait honorable, qui met la lumière sur des combattants que, pendant longtemps, l’Histoire de France n’a pas traité comme ils le méritaient.