"L'Exorciste" de William Friedkin. Tout est dit.
Culte, indémodable, toujours capable de nous hérisser le poil cinquante ans après sa sortie et de nous raviver le visage déformée de sa pauvre petite Reagan en train d'éructer les pires insanités à la seule écoute de son thème musical.
Surtout, en plus d'être devenu un des piliers incontournables du cinéma d'horreur, "L'Exorciste" est aussi devenu la matrice, le père fondateur malgré lui, d'une litanie de films de possession contemporains ayant tenté d'en reprendre les codes sans jamais parvenir à renverser la suprématie indéboulonnable de leur modèle.
Alors, certes, parmi la liste bien trop longue de ces enfants possédés non désirés, une poignée a réussi à rester dans les mémoires en proposant des variations intéressantes à cet héritage mais, à l'instar d'une Reagan vomissant des flux incontrôlables de liquide vert, une grande majorité s'est simplement contentée d'en régurgiter les plus célèbres effets, gonflés artificiellement à l'écran par les avancées technologiques en matière de FX, en se montrant bien souvent incapable de retrouver -ou même de comprendre- ce qui faisait le sel de son atmosphère si particulière et encore aujourd'hui si marquante.
Bien sûr, au vu de son statut, "L'Exorciste" n'a lui-même pas échappé aux envies mercantiles de le voir prolongé de quelques suites (non dépourvues d'intérêt pour certaines d'entre elles) mais, en 2023, au milieu d'une nuée de resucées plus ou moins hasardeuses des plus grands hits cinématographiques des dernières décennies, comment ne pas frémir à l'idée de voir le long-métrage de Friedkin passer par la case du fameux legasequel (suite tardive prétendant être la plus à même de s'accoler à la source) alors qu'à quelques exceptions près, depuis un demi-siècle, la plupart des purs films de possession patinent sans génie autour des mêmes sempiternels acquis sans parvenir à tutoyer le maître étalon du genre ? Autant dire qu'il fallait être soit armé d'un concept fort et d'une vraie vision pour espérer s'y frotter soit être un kamikaze ayant l'envie folle de faire des rotations crâniennes à 180 degrés devant une mission quasi-impossible ! Mauvaise nouvelle, David Gordon Green se range manifestement dans la deuxième catégorie.
Accompagné de son acolyte Danny McBride, le metteur en scène a bien entendu pour lui d'avoir ressuscité la franchise "Halloween" sur ce même principe de legasequel qui, indépendamment de sa qualité, a le mérite d'avoir donné un peu de sens à une nouvelle virée sanglante de Michael Myers à Haddonfield, avec un certain succès au box-office en sus... Mais de là à lui confier les clés de "L'Exorciste" pour y appliquer une formule similaire, le pari apparaît sacrément risqué, d'autant que son ultime épisode "Halloween Ends" est resté en travers de la gorge de nombreux fans du slasher initié par John Carpenter (tout n'y était pourtant pas à jeter, on n'en démordra pas, mais c'est un autre débat).
Sans aucune surprise dans son approche, ce premier volet d'une trilogie annoncée (!) applique effectivement les mêmes préceptes de traitement pour lesquels "Halloween" 2018 a opté vis-à-vis de son matériau d'origine. Vous vouliez une réponse à la séquence d'ouverture chargée de mystère en Irak de "L'Exorciste: Dévotion" débute les hostilités par une introduction à Haïti qui n'en égalera jamais la force et qui, en plus d'utiliser les malheurs bien réels de la population locale à des fins scénaristiques futiles, ne sert qu'à rapidement bifurquer vers un énième paysage de petite ville américaine où des forces démoniaques ne vont pas frapper une petite fille mais deux. Grande innovation de dingo, hein ?
Disparues pendant 72h dans les bois - et ce n'est pas un hasard vu comme le film insiste lourdement dessus, deux adolescentes vont revenir possédées jusqu'à la moelle auprès de leurs familles respectives... et voilà.
Bon, soyons justes, quelques bonnes intentions vont parfois pointer le bout de leur nez au sein des errements sans âme de ces néo-démones sur pattes comme les développements autour de la relation père-fille des héros principaux, cette opposition/soutien de deux modèles de familles US ou l'idée d'union humaine transcendant les clivages religieux face au mal mais toutes vont finalement en rester au stade d'esquisses diluées dans une histoire de double possession horriblement banale et incapable d'en tirer le moindre impact conséquent (que ce soit la force de ce lien père-fille réduit in fine à un bête dilemme tenant plus d'un très mauvais "Saw" que de "L'Exorciste" ou cette volonté transreligieuse devenant le prétexte à une très mauvaise vanne, du moins l'interprète-on ainsi, sur la prédominance catholique dans ce type d'intrigue, rien ne parvient à captiver).
Et si vous cherchez le moindre gouvernail à l'intérieur de ce récit atone, dont l'absence totale de montée en puissance se retrouve pallier par des effets de montage et sonores à côté de la plaque (on y décèle l'envie de singer l'omniprésence du mal en mode chappe de plomb sur un quotidien moderne du film originel, comme Friedkin avait su si bien la retranscrire, sauf qu'ici, à trop vouloir sombrer dans tous les excès possibles, c'est un échec complet), il ne vous restera dès lors que la maigre connexion aux évènements de 1973 pour espérer trouver un vague intérêt à cet appendice contemporain.
En effet, toujours dans cette optique de décalquer le principe de ses "Halloween" et de remettre des visages connues face à leurs nemesis d'antan, David Gordon Green va évidemment faire revenir sur le devant de la scène le personnage d'Ellen Burstyn du premier film et la faire dialoguer avec le démon... mais, là encore, dans quel but ? Personne ne saurait le dire car, là où la place de Laurie Strode était légitime pour un nouveau round avec Michael Myers, Chris MacNeil ne semble être présente que parce que le film en question s'appelle "L'Exorciste", n'apportant aucune plus-value ni information décisive qui puisse aider à faire avancer l'intrigue ou les autres protagonistes vers une solution qu'ils n'auraient pu avoir sans elle. En plus d'être inutile (voire même risible quant au sort qui lui est réservé), elle sera accompagnée in fine d'une autre surprise toute aussi vaine et gratuite dans une démarche de fan service outrancière. On peut néanmoins imaginer que cela aura une importance pour les suites à venir mais, en l'état actuel des choses, rien ne parvient à souligner une véritable pertinence à l'existence de ce film 2023. Et encore moins son exorcisme final, bien plus oubliable que d'autres longs-métrages récents du même type, un comble pour un titre voulant s'inscrire dans la continuité de celui de "L'Exorciste" !
À l'opposé du film de William Friedkin dont les images et l'ambiance nous poursuivaient bien au-delà de sa découverte, celui de David Gordon Green s'évanouit aussi vite de nos esprits que des vapeurs d'eau bénite au contact de flammes infernales. S'il y a bien un exorcisme à effectuer, c'est sur les producteurs qui ont eu l'audace d'imaginer qu'un tel projet pourrait faire une suite convenable à un monument du cinéma d'horreur. On attendra de savoir où cette trilogie veut en venir mais, après un premier opus si pauvre à tous les niveaux, on ne voit pas trop comment le démon de 1973 pourrait à nouveau nous posséder...