Dès les premières images de Belle, on en revient inévitablement à Summer Wars. Le parallèle est rapide tant l'univers coloré et abstrait de U nous ramène à celui d'Oz. Pourtant, le lien entre les deux se limitera uniquement aux allers retours du récit entre la réalité et le réseau social. Le message de Mamoru Hosoda est ici bien plus humaniste et, sans surprise vu le chemin parcouru depuis sa cinquième réalisation, bien plus émouvant.
C'était peu dire que j'attendais au cours de cette année 2021 la nouvelle pépite - j'anticipe - des Studios Chizu (fondés par Hosoda) tant, depuis Ame & Yuki, je n'ai cessé d'être émerveillé par la combinaison d'onirisme et de surnaturel que le réalisateur met au service du devenir de l'être et de la cicatrisation de ses éventuelles blessures intérieures. Encore une fois, l'association est réussie tant elle finira, de manière bien plus inattendue que dans ces 3 précédents films, à m'émouvoir.
Suzu, une adolescente traumatisée par la mort de sa mère et l'incompréhension qui en découle, va devenir Belle dans le monde virtuel de U. Belle est un As, c'est à dire un avatar créé à partir des paramètres biologiques du joueur. On comprendra au terme de ses sauts dans cet univers pixelisé que le choix des noms pour qualifier ce monde et ses habitants semble loin d'être anodin. En effet, U est l'homophone de you (tu/toi) et as signifie comme.
Ainsi Belle, chanteuse virtuelle à succès, est une autre version de Suzu, une version de sa personnalité sans entraves, en pleine possession de sa voix/voie, comme elle aurait du l'être si la vie n'en avait pas décidé autrement.
Mais au-delà de sa renommée virtuelle, c'est un autre As qui va la fasciner, un monstre pourchassé par une police improvisée de U
capable de rompre l'anonymat des personnes connectées pour les exposer au monde
.
Par le biais de ces deux protagonistes, le rapprochement avec La Belle et la Bête est inévitable, la Bête vivant dans un château où fleurissent de magnifiques roses. Mais, s'il sert ici le propos similaire de l'être à l'apparence repoussante, agressif, en souffrance et incompris, il permet aussi à Hosoda de jouer habilement sur la frontière entre réalité virtuelle et virtualité réaliste dans le sens où la Belle comme la Bête, 2 êtres facilement distinguables et littéralement en marge des flots d'utilisateurs, ne sont que le prolongement de Suzu et de celui qui se fait appeler Dragon.
On pourrait regretter que les conséquences de cette rencontre tardent à se dessiner mais il faut reconnaître, avec le recul, que tout était agencé méticuleusement pour que le final, emmené par l'une des magnifiques musiques de Taisei Iwasaki qui jalonnent le récit, me prenne en traître. Piégé par une vague d'émotions sorties de nul part et faisant écho à certains aspects de ma réalité, je ne pouvais encore une fois que reconnaître toute l'adresse du réalisateur de Miraï, ma petite sœur pour mettre en abyme une partie de ses spectateurs dans ses personnages tant les sujets et les liens qu'il décortique sont universels. Et rien que pour ça, je sèche une larme et je dis "bravo" !
Bravo aussi pour cet univers géométrique coloré foisonnant de détails. Mamoru Hosoda ne manque pas d'idées pour faire ressortir certaines caractéristiques des réseaux sociaux et l'effet de masse qu'ils entraînent, le tout sans jamais les condamner directement : écrans saturés de commentaires jusqu'à noyer la personne ciblée, avis compulsifs, sponsors d'une police tentant de régenter un monde de libertés, défouloir sous couvert d'anonymat. De simples effets visuels traduisent les proportions gigantesques que peuvent prendre un tel regroupement d'individus et le film garde au final une certaine équité entre avantages et inconvénients de l'utilisation d'un outil mondialisé.
La beauté de Belle est donc tout autant oculaire et extérieure qu'auditive et intérieure. Le fond tarde légèrement à justifier la forme mais lorsque les deux se confondent, les questions trouvent leurs réponses, aussi bien pour cette adolescente aux tâches de rousseurs introvertie et discrète, que pour nous.
Les pansements tombent pour ne laisser que des blessures enfin cicatrisées et un être délesté d'un passé incompréhensible.
Belle est un film de tous les possibles, de tous les espoirs, un film sur la volonté de faire face et de se trouver quitte à embarquer le monde avec soit.
Un film sur la nécessité d'accepter et de s'accepter.
♩ ♫ ♩ ♫ "Come As U are..." ♩