Tourné en Lituanie avant le début des hostilités russo-ukrainiennes, « Kompromat » tombe à pic sur les écrans français. C’est Jérôme Salle qui se charge de porter à l’écran, en la romançant sans doute un petit peu, l’histoire véridique de Yoan Barbereau. Et au vu de son film, on sent que Jérôme Salle a été biberonné aux films américains. Les scènes d’action, la gestion du suspens (et les petites coïncidences qui vont avec, comme avec la scène du téléphone), le dosage subtil entre la noirceur et l‘émotion, en la teintant de romance,
le duel final épique dans les marécages
, le petit symbole de l’ourson en tissu, toutes les bonnes recettes sont suivies et parfaitement exécutées. On peut choisir de s’en plaindre ou au contraire de considérer que c’est du cinéma efficace, qui ne laisse pas le spectateur sur le bord du chemin et l’embarque dans une aventure épique dont il ressort assez rincé. Car le film, qui dure plus de deux heures, ne nous laisse pas beaucoup d’occasions de souffler, la tension nerveuse y est permanente, presque épuisante. La musique, comme tout le reste, accompagne fortement les images, parfois un peu trop, mais c’est un peu la loi du genre. Le film est censé se passer en Russie : quand il ne pleut pas, c’est qu’il neige ! Les appartements sont exigus, meublés à l’ancienne, les supermarchés sont mal achalandés, on comprend quand même facilement l’épouse de Matthieu qui insiste pour rentrer en France, rien ne fait réellement envie. Je ne sais pas si c’est la Russie comme on l’imagine ou la vraie Russie qui est ainsi… C’est Gilles Lellouche qui se glisse dans la peau de ce français abandonné de tous, condamné d’avance et qui refuse le sort injuste qu’on lui réserve. Il est très bien, Lellouche, dans ce rôle, il est quasiment de toutes les scènes : c’est un rôle difficile, très physique, éprouvant et il fait très bien le job. A ses côtés, quelques jolis seconds rôles dont celui tenu par Joanna Kulig,
dont on ne sait pas pendant un bon moment si on doit lui faire confiance ou s’en méfier et qui parvient à maintenir cette ambigüité longtemps.
Si on ne sait pas d’emblée que cette histoire est celle de Yoan Barbereau, on s’imagine que le scénariste est allée un peu trop loin avec ce type
qui s’évade seul de Russie, depuis la Sibérie, quasiment sans être aidé, sans argent liquide, et surtout sans l’aide d’une ambassade qui est pourtant, me semble-t-il, là pour ça aussi !
Et pourtant, quasiment tout est vrai, à part peut-être la romance que le scénario a ajouté pour susciter l’émotion et faire plus « cinématographique ». Le pourquoi du « kompromat », on en cherche les raisons avec Matthieu au travers de quelques flash-back, et on les devine au fil du temps, en filigrane sans que cela ne soit jamais réellement clair. Vu de France, ce faux grossier est une abomination, car Mathieu n’a aucune chance, le FSB ne pouvant se dédouaner, sa condamnation est inévitable. En 2017, l’ambassade de France en Russie avait encore une raison d’être, et elle ne sort pas grandie du film, c’est le moins qu’on puisse dire. Dans sa fuite,
Matthieu peut compter sur la population pour le dénoncer, ou pour l’aider et parfois l’aide vient de ceux qu’on n’imaginait pas
. Il n’y a pas une caricature grossière du peuple russe dans ce film, en revanche, les autorités russes en prennent pour leur grade, mais on ne va pas non plus trop pleurer sur le sort que le film leur réserve. Si on ferme les yeux sur quelques scènes un peu trop « hollywoodiennes »
(le téléphone, le combat dans les marais, la course poursuite à Moscou, le nounours)
, « Kompromat » est un film très efficace qui vous embarque dans une aventure assez terrifiante que l’on ne souhaite à personne, pas même à son pire ennemi.