La parisien Mikhaël Hers continue d’errer sur les trottoirs d’une cité qu’il a décortiqué à travers le deuil (Ce Sentiment de l’Été, Amanda), mais par-dessus tout, c’est la destination qui le préoccupe. Le foyer reconstitué, de nos jours ou à travers les générations, c’est un appel mélancolique qui a souvent inspiré le cinéaste (Memory Lane). Ici, avec la victoire de François Mitterrand aux élections présidentielles, il nous (re)plonge dans un contexte qui déroule des motifs forts et liés au siècle passé, afin de mieux appréhender le destin d’une famille en quête d’une seconde chance. Il n’est pourtant pas nécessaire de se familiariser aux codes ou au sentiment de nostalgie, du moment que l’on sache prendre le temps de partager du temps et une écoute mutuelle.
L’obscurité pourrait tout emporter à l’aube des années 80, où certains y verraient leur enfance, d’autres un moyen d’explorer davantage cette ambiance malléable et en perpétuelle mutation. Plusieurs voix finiront par s’entrechoquer dans cette longue balade nocturne, où Paris est traversé par des réseaux de métro, tout comme les nombreux insomniaques qui rôdent dans les parages. Elisabeth (Charlotte Gainsbourg) est l’une de ces passagers et celle qui aura la lourde tâche de porter sa famille vers un lendemain de plus en plus lumineux. Cela ne se fera pas sans souffrance, ou du moins, sans le doute qui confine chaque personnage dans ses réflexions, tantôt poétiques, tantôt prophétiques. L’émission de radio nocturne, tenue par une Emmanuelle Béart à l’écoute, témoigne d’une démarche solidaire et pourtant peu perceptible dans l’instant. C’est dans l’antre même de ce studio, hanté par les voix d’anonymes dans le besoin, que Talulah (Noée Abita) viendra piller les vestiges de Paris, de même que ses richesses et ses vices.
Le cinéma de Rohmer constitue d’ailleurs une porte d’entrée vers cette profonde passion d’un art qui s’identifie dans l’instant et qui s’apprécie avec le temps. Entre les reliques du passé et les incarnations nostalgiques qui enrobent le casting de Hers, il en appelle à ses souvenirs pour tendre la main à la vulnérabilité, dans l’objectif d’apporter soulagement et compréhension de l’environnement qui l’entoure. Il promet de magnifiques plans de la cité parisienne, qui héberge en secret des âmes tourmentées, que la force politique ne peut changer ou simplement influencer. Ce sont de perpétuelles allers et retours entre le domicile et un nouveau territoire inconnu que l’on se laisse surprendre à accepter le personnage que nous sommes, dans la réalité d’aujourd’hui. Ce n’est pas de l’indifférence que l’on cite, mais bien une intelligence qui consolide l’épée et le bouclier d’une jeunesse, destinée à prendre du recul sur soi. Matthias et Judith (Quito Rayon Richter et Megan Northam) ont cette tendance à se laisser porter par le désir de vivre, quitte à se noyer dans des convictions que rien ne peut ébranler.
Ainsi, « Les Passagers de la nuit » nous accompagnent dans ce tunnel brumeux, sans pour autant qu’il soit glacial ou brûlant. Ce qui compte réside dans les émotions que l’on peine à verbaliser, que l’on dissipe dans suffisamment de subtilités pour qu’enfin on puisse s’éloigner de la spirale fantomatique de la nuit et de ses errances interminables. Les relations ne sont jamais évaluées pour ce qu’elles pourraient être, car elles sont humaines, imprévisibles et d’une simplicité optimiste à toute épreuve. Malgré l’ère du numérique et malgré un manque de confiance évident, cette œuvre reste un portrait saisissant et intemporel de ceux qui se donnent les moyens d’aimer, se découvrir, de s’émanciper et de se réinventer, au-delà des limites qu’on leur impose, au-delà des sentiments qui les conditionnent.