Goliath tente de tisser un fil rouge, celui du scandale des pesticides, au sein d’un maillage déjà formé représentant la complexité et l’ambiguïté morale du monde. C’est sans compter sur le manichéisme adopté comme écriture du scénario et des personnages, distinguant clairement par une rupture tonale et visuelle ces deux univers opposés que sont la bureaucratie froide et verticale d’une part et la souffrance populaire au fonctionnement communautaire, donc horizontal, de l’autre. Les plans nombreux et récurrents sur des étoffes balayées par les vents, sur des enlacements familiaux ou conjugaux soudain fracturés suite à l’annonce d’un médecin, sur des personnages en larmes font naître un martyre et fragilisent la puissance documentaire du long métrage. Nous retrouvons là la lourdeur d’une approche qui écrasera le biopic entrepris sur l’Abbé Pierre (2023), quoique cette lourdeur soit au service d’une lutte retranscrite avec efficacité et mérite : l’absence de suggestion s’effectue au profit d’une esthétique du lanceur d’alerte, et cela fonctionne puisque le spectateur, deux heures durant, remet en question ses certitudes, interroge ses pratiques alimentaires et environnementales ainsi que la croyance parfois placée en des discours à la rhétorique implacable, pourtant marchands de sommeil.
Nous ne saurions taire l’interprétation remarquable des comédiens qui, chacun à leur manière, interprètent des personnages déterminés à mener leur engagement jusqu’au bout, qu’il convienne à la morale ou non. Aussi Frédéric Tellier partage-t-il la qualité principale de l’avocat joué par Gilles Lellouche, à savoir la détermination, tout en refusant la brillance rhétorique du jeune lobbyiste soucieux, par une connaissance des médias et par une acuité remarquable, de manipuler l’opinion. Aucun tour de passe-passe, mais un débordement d’humanité à la fois cohérent et impropre. Goliath vaut donc pour ce déséquilibre.