Goliath ou la mythologie de la victoire du faible face au puissant, de la justice contre l’infamie, est une source intarissable particulièrement inspirante en matière imaginative et redoutablement contemporaine dans une époque si troublée par des fractures incessantes, qu’elles soient sociales, environnementales, éthiques et tant d’autres encore. Elles s’inscrivent pleinement dans la filmographie de Frédéric Tellier, le réalisateur de Goliath. Notamment dans la question de l’engagement de héros anonymes au service d’une cause qui forcément les dépasse. Il en est limpidement question dans L’Affaire SK1 (2015), Sauver ou périr (2018). Les robins des pauvres (2010) téléfilm du même réalisateur vient mettre en relief ce qui se pressentait dans la construction idéologique de Frédéric Tellier et qui éclate au grand jour dans Goliath, à savoir une aversion pour l’écrasement d’une classe dominante sur des populations asservies, mais de plus en plus conscientes et possiblement révoltées.
Pour l’incarnation cinématographique des multiples messages que Frédéric Tellier veut faire passer, Pierre Niney est un peu sa muse avec qui il a déjà collaboré et qu’il se plaît à magnifier avec son matériel filmique. Il l’aime autant que nous et sûrement plus encore, ça tombe plutôt bien.
Goliath nous entraîne dans une immersive plongée au cœur de différents microcosmes qui n’en sont pas, comme autant de classes sociales devenues antinomiques surtout idéologiquement, tant elles sont mues par des utopies contraires.
A cet égard la mise en scène est d’une redoutable habileté, tant nous sommes baladés d’un univers à l’autre, avec un art de la transition prégnant, passant du champagne à flots, dans un raffinement feutré tout en hypocrisie cannibalisée de Mathias (Pierre Niney) et consorts, à une ambiance bières de bons marchés, saucisses merguez façon barbecue syndical avec France (Emmanuelle Bercot) et ses « camarades ». Au milieu du gué, Patrick (Gilles Lellouche) classe moyenne déclinante, à l’image de son cabinet d’avocat dont les comptes sont dans le rouge, et d’une vie sombrement désabusée et dissolue, côtoie les un-e-s et les autres, qui eux ne se croisent par contre presque jamais, se livrant pourtant une lutte réellement à mort…
Le tour de force de Frédéric Tellier est que dans un objet filmique aux contraintes forcément scénaristiques et temporelles, il réussit à livrer une œuvre moderne avec un souffle romanesque évident aux saisissants contrastes, qui bouleverse souvent, nous transporte tout le temps et nous fait incontestablement grandir. Goliath, malgré la violence de la lutte filmée est porteur d’un invincible espoir pour le cinéma français certes, mais aussi pour le monde, et quand la culture porte et transcende, c’est donc que le pari est pleinement réussi.