À présent fort de quatre long-métrages, Martin McDonagh nous ferait presque oublier son mauvais dérapage sur les « 7 Psychopathes ». L’oscarisé de « Three Billboards » revient sur la face cachée de son « Bons Baisers de Bruges », avec ses comédiens de tête et une amitié disloquée. Mais plus intéressant encore, il nous emmène dans son pays natal, à l’apogée d’une guerre civile qui divise l’Irlande en deux. Son récit vise alors à convoquer cette conscience endormie chez certains habitants, vivants reclus sur leur île et tournant en rond toute la journée, avant de se retrouver au seul pub des environs. Cette monotonie ne durera pas tant que cela, suite à une déclaration radicale d’un personnage, sont la volonté est discutée, contestée et redoutée.
Pádraic Súilleabháin (Colin Farrell) n’est donc pas prêt de retrouver son cher ami Colm Doherty (Brendan Gleeson) dans son sillage, car ce dernier n’accepte plus cette fraternité, qui l’a longtemps piégé dans l’inconfort. Malheureusement, ce rejet aura bien plus d’impact sur sa vie qu’il ne l’imaginait. Il joue et compose de la musique de ses deux oreilles, afin d’accentuer la surdité qu’il cherche à provoquer chez Pádraic, qui est incapable de couper le cordon ou de comprendre cette décision. L’intrigue ne passera pas son temps à répondre à cette grande interrogation, mais viendra plutôt secouer l’essaim pour mieux en extirper l’ego et le chaos qu’engendrent ses protagonistes masculins. Les idiots du village, ce sont eux, qui reviennent à la charge ou qui sont prêts à aller au bout de leur menace. On sera ainsi capable d’entrevoir toute l’implosion d’un pays en révolution, à l’échelle d’un petit groupe, qui ne cache pourtant pas leur joie de vivre.
C’est pourtant tout le mythe des banshees, annonciateurs de drames mortels, qui ne sont là que pour en délivrer la peine, passivement depuis l’autre côté de la rive. Certains l’apprendront à leur dépens, mais rien n’est laissé au hasard dans cette discorde, qui oppose ces âmes déchus à leur jugement. Cette île apparait peu à peu comme leur purgatoire, doublé d’une esthétique rappelant les westerns de John Ford. Et à ce jeu-là, Siobhán (Kerry Condon), la sœur de Pádraic, convainc pleinement dans son soutien, davantage maternel que fraternel et c’est lorsque qu’elle découvre cette nuance qu’un recul s’impose. De même, le jeune Dominic Kearney (Barry Keoghan) croule sous les coups d’un père violents et qui profite de son statut. Chacun souhaitera se rapprocher des uns et des autres sans jamais avoir le sentiment absolu de pouvoir changer les choses. Les actions deviennent des mèches qui ne demandent qu’une allumette pour briller. Reste à savoir si l’on souhaite en abuser au nom de l’orgueil ou pour éclairer un chemin bien trop ténébreux.
La diction des autochtones et le ton du récit ont rapidement basculé vers l’assurance pour l’un et vers la tragédie pour l’autre. « Les Banshees d'Inisherin » (The Banshees of Inisherin) nous dévoile ainsi la fragilité de ces relations, qui adoptent l’absurde dans la bonne humeur, avant de la renvoyer au visage d’un spectateur investi. Finalement, on en ressort autant bouleversé que terrifié par cette idée de mort, qui guette ce petit monde, où l’horizon parait bien trop imposant pour pouvoir l’atteindre et enfin pouvoir renoncer à toute cette haine, qui a pris le temps de germer et d’exploser, aux yeux de ceux qu’on a tant aimé et de ceux qu’on aimerait tant quitter.