Après les déjà très remarquables "Bons baisers de Bruges" et "3 billboards", Martin McDonagh confirme ici son indéniable talent.
Au départ d'un scénario au premier abord minimaliste (la fin d'une "amitié" entre deux habitants d'une petite île au large des côtes irlandaises), le réalisateur britannique semble nous proposer une tragédie au sens classique du terme (unité de temps, de lieu et d'action) mais qui pourrait tout aussi bien être perçue comme une fable, une parabole ou un conte existentiel mélangeant savamment noirceur, mélancolie et tendresse où la solitude côtoie le désespoir et l'ennui avec, en toile de fond symbolique, les échos ponctuels de la guerre civile qui fait rage (1923) sur l'île principale.
Ce huis clos insulaire nous invite à tant d'interrogations que je crains d'en omettre à les énumérer. Citons cependant en vrac et dans le désordre : l'incommunicabilité, le repli sur soi, les bienfaits du silence, les dangers de l'ennui, l'enfermement dans cette prison insulaire, le poids du devoir familial, des traditions ou conventions,... mais, s'il fallait n'en retenir que deux principales, il s'agirait immanquablement :
1) Le sens de l'amitié. Qu'est-ce qui nous motive vraiment à établir, accepter, entretenir une amitié et, par extension, qu'est-ce qu'être "gentil", empathique, tolérant ? ;
2) Le sens de l'existence et comment prendre son destin en main. La répétition des gestes immuables du quotidien, la fin des illusions affectives ou perspectives amoureuses, la rupture d'une amitié vécue comme une trahison jusqu'à l'irréparable, le besoin irrépressible de s'extraire d'un milieu intellectuellement étouffant, l'angoisse de sa finitude, l'obsession de laisser une trace de son passage terrestre,... habitent, tour à tour ou séparément, chacun des personnages les amenant à poser (ou pas) des actes aux conséquences variables.
Pour développer son propos, le réalisateur fait également le choix judicieux de ne pas multiplier l'approche de trop nombreux personnages qui tous nous sont présentés avec une belle profondeur psychologique évitant stéréotypes et caricatures tout en étant représentatifs de ce microcosme aux multiples facettes.
Le tout nous est servi par une mise en scène tirée au cordeau, une écriture sobre finement ciselée généreusement saupoudrée d'un humour pertinent et bienvenu, flirtant sans excès avec l'absurde et la mythologie celtique, un casting exceptionnel, une reconstitution d'époque de qualité et une photographie sublimant des paysages naturels grandioses.
Tout autant appréciable et symboliquement forte est la présence discrète mais récurrente du chien de Colm et du poney de Padraic observateurs lucides des tourments et errement de leur "maître" respectif. Cela m'a immanquablement fait penser au tout aussi magistral film "EO".
Tout au plus pourrait-on lui reprocher quelques longueurs, baisses de régime ou redondances mais ce sont là péchés véniels au regard de la cohérence de l'ensemble.
Il y aurait sans doute encore beaucoup d'autres choses à dire tant ce film fourmille d'émotions, est riche d'une subtile perspicacité et, au final, profondément troublant.