Venu tourner en Europe, avec des fonds français, allemands et italiens, Orson Welles cherchait une indépendance créatrice qui lui était de plus en plus refusée par les studios américains, lassés par ses débordements et ses insuccès publics. Il se lança moins dans une adaptation du roman de Franz Kafka que dans une libre interprétation. Après un prologue dessiné, sous forme de parabole sur l’homme et la loi, dont le message n’est pas limpide, on retrouve la trame du roman, la tentative vaine d’un citoyen lambda d’échapper à un système policier et judiciaire absurde, auquel le réalisateur donne des allures de cauchemar expressionniste et assez surréaliste. L’exercice de style est très réussi, grâce une mise en scène, une photographie, un montage d’une inventivité constante, jouant sur les plongées et contre-plongées, la profondeur de champ, les travellings, le noir et blanc en clair-obscur (très contrasté parfois), une certaine vitesse d’enchaînement, pour exprimer les rapports de forces, les peurs, les courses éperdues… À la différence du personnage central du roman, passif et désespéré, le Joseph K. du film se débat activement, faisant écho à la personnalité du cinéaste qui disait : « Je suis un pessimiste complet mais je suis allergique au désespoir. » Anthony Perkins, en vogue depuis le succès de Psychose, donne à ce personnage sa silhouette longiligne, nerveuse, toujours en mouvement.
Si la mise en place et les premiers développements de l’intrigue sont passionnants, soutenus par une réalisation stimulante, un étonnant casting hétéroclite, certains décors impressionnants (notamment le site de l’ancienne gare d’Orsay, avant sa transformation en musée), le film finit malheureusement par se répéter un peu. Deux heures, c’est probablement trop long dans ce registre absurde. Le Procès n’en demeure pas moins une expérience rare de cinéma.