Adaptation éponyme du roman de Kafka, "Le Procès" est un film au moins aussi étrange… et qui m’a, pour ma part, bien trop décontenancé pour que je l’apprécie. Pourtant, la présence du génial (mais trop expérimental sur la fin) Orson Welles sur le siège du réalisateur était de nature à me rassurer… un film du réalisateur de "Citizen Kane" méritant toujours d’être découvert. Le formidable casting réuni pour l’occasion était, également, séduisant sur le papier puisqu’on retrouve, outre Orson Welles lui-même en ténor du barreau, l’omniprésent Anthony Perkins dans le rôle de Joseph K., Jeanne Moreau en voisin dépravée, Romy Schneider en assistante entreprenante mais aussi Suzanne Flon, Michael Lonsdale, Elsa Martinelli, Billy Kearns, Fernand Ledoux ou, plus surprenant, Guy Grosso. Malheureusement, dès le début du film
(une légende racontée sous forme de BD, censée résumer l’esprit du film)
, on sent que les choses ne vont pas être simples pour un spectateur non préparé. Et c’est peu dire que la suite confirme ce pressentiment… au-delà de toutes espérances ! Si le mot kafkaïen peut, parfois, être difficile à définir, "Le Procès" a, au moins le mérite d’aider tant il part dans tous les sens avec une absurdité incompréhensible. On comprend vaguement que le héros se retrouve au centre d’une affaire inexplicable qui le dépasse et, plus généralement d’un système froid et déshumanisé, auquel il est impossible de trouver un semblant de logique. Cette désorientation scénaristique s’accompagne d’une désorientation visuelle, Welles s’affranchissant de tous les repères habituels du spectateur (que ce soit sur le plan des décors, du temps ou des personnages). On se retrouve dans une multitude d’endroits plus invraisemblables les uns que les autres
(les chambres des locataires qui communiquent entre elles, les salles d’audience aux proportions hors normes, les couloirs qui relient entre elles des pièces sans le moindre rapport…)
où m’on croise des personnes tout aussi invraisemblable dans leurs discours que dans leur réaction
(les policiers aidés dans leur enquête par les collègues du suspect, le châtiment d’un flic dénoncé par le suspect, le client de l’avocat cloîtré dans son cabinet…)
. Mais, le plus perturbant est, sans doute que le héros participe à cette absurdité ambiant, en laissant, certes, transparaître une véritable incompréhension face au procès qu’on lui intente mais on ne se montrant pas plus étonné que ça par la succession d’événements et par le comportement de ses semblables. Il est plus que probable que Welles ait envisagé "Le Procès" comme une expérience sensorielle et non comme un film classique (ou du moins compréhensible). L’utilisation terriblement oppressante du noir et blanc et l’utilisation, à outrance d’Adagio en fond sonore, participe d’ailleurs pleinement à cette expérience. Et, quelque part, il est difficile de considérer le film comme un monumental raté puisqu’il a, au moins, le mérite de ne pas ressembler à grand-chose de connu et de proposer une approche très différente du cinéma. Mais, je dois admettre, bien modestement, que j’ai été totalement dépassé par l’ambition du maître et que "Le Procès" a été, pour moi, une douloureuse épreuve, particulièrement imbitable dans son propos. Au point de remettre à plus tard la lecture du roman…