L'homme débarque ses valises de l'auto, se dirige à la réception, demande une chambre pour la nuit. Là, il décroche les deux tableaux, arrache le téléphone et le réveil, extirpe de ses bagages des draps blancs dont il commence à recouvrir le mobilier de la chambre.
C'est un homme que l'aléatoire et l'imprévu indisposent. Il édifie autour de lui un univers immaculé qui s'accorde à la monotonie, la routine au sein de laquelle il survit. Des flash-back indiquent qu'il fut un temps dans la prison d'Abou Ghraib en Irak. Mais de quel côté ? tortionnaire ou victime ?
L'homme sort du cerveau de Paul Schrader, un cerveau abîmé par une éducation d'un calvinisme radical qui voyait dans le sexe l'ouvrage de Satan et dans tout plaisir hédoniste un mal à combattre. Devenu scénariste et metteur en scène, Paul Schrader a imprégné ses œuvres de ce traumatisme dont il se sert sans doute aujourd'hui, après l'avoir dépassé, comme un label d'auteur.
Il y a du Travis Bickle, le chauffeur de taxi incarné par Bob de Niro dans Taxi Driver, dans le personnage solitaire, mutique, obsédé par un besoin de rédemption que joue dans The Card Counter l'excellent et étrange Oscar Isaac.
Hasard ou non au vu des liens étroits entre Schrader et Martin Scorsese - ils ont quatre films en commun, Oscar Isaac rappelle étrangement Scorsese jeune.
Joueur professionnel qui va de casino en salle de jeu à travers les Etats-Unis, William Tell a développé en prison un système de jeu basé sur le comptage des cartes et la maîtrise des probabilités. Il se sait plus fort que la banque mais ne la provoque pas, fait profil bas, gagne de petites sommes et s'en va. Il poursuit un but, lequel ?
Quel plaisir de cinéphile de retrouver un grand cinéaste qu'on a aimé, de se couler dans ce beau film obsessionnel, dépouillé jusqu'à l'os, aiguisé comme une lame, aux antipodes du commun d'Hollywood.