Je le conçois : expliquer le plaisir qu’on peut prendre face à un film de Quentin Dupieux, c’est compliqué.
C’est du moins tout aussi compliqué que d’avoir à expliquer pourquoi on n’a pas pris de plaisir face à un film de Quentin Dupieux.
Me concernant il m’arrive d’être tantôt d’un côté de la barrière, tantôt de l’autre.
Des fois j’adore. Des fois je reste sur la touche.
Des fois je crie au film de génie. Et d’autres fois j’ai envie de condamner ce que je perçois comme une grosse bouse.
Or, concernant ce « Mandibules », chez moi c’est clairement de la catégorie n°2.
De la bonne grosse bouse.
…Peut-être même la pire que Dupieux nous ait jamais chié.
Alors comment expliquer ?
Comment expliquer que, chez moi, il puisse s’exprimer de tels grands écarts ?
Eh bien je pense que ça tient tout simplement au fait que l’humour ça reste une démarche très subtile. Peut-être même la plus subtile qui soit.
L’humour ça repose sur du décalage, de la rupture, voire de l’absurde.
Pour rire – ou du moins pour s’amuser d’un instant de cinéma – il faut qu’à un moment donné le film sache nous prendre à contrepied ; qu’il sache bousculer notre équilibre sans pour autant nous faire tomber.
En ce qui me concerne c’est que « Rubber » était parvenu à faire un bon quart d’heure avant de s’écrouler.
C’est ce que « Wrong » était parvenu à faire sur quasiment une bonne moitié avant de chanceler.
Et c’est que « Wrong Cops » et surtout « Réalité » sont parvenus à accomplir du début jusqu’à la fin.
Seulement voilà, pour « Mandibules », en deux minutes montre en main, tout s’est lamentablement cassé la gueule.
Pourtant ça commençait vraiment pas mal.
Une voiture arrive au pied d’une maison en bord de mer.
Un homme en sort, cherchant visiblement quelqu’un.
Il fait le tour. Ne voit personne. Il s’étonne.
Le cadre est maitrisé. La photographie élégante.
Même la narration est finalement aux petits oignons puisqu’en une seule minute s’opère déjà un effet d’intrigue.
Cet effet et d’autant plus accentué quand au loin, au bord de l’eau, l’homme sorti de la voiture surprend un corps jonchant la plage, roulé vulgairement dans une couverture.
Surpris, il se rapproche de ce qui semble être un cadavre.
Il donne un coup de pied. « Debout ! » lâche-t-il d’un ton badin.
Premier sourire.
Qui pourrait franchement penser qu’il s’agit là d’un homme dormant les pieds dans l’eau ?
Mais bon voilà, le sac bouge. Grégoire Ludig en sort. Fracassé.
Rupture. Deuxième sourire.
Le problème c’est qu’à ce moment-là, j’ignorais que ce deuxième sourire allait être le dernier.
Ça aura donc duré deux minutes.
Deux minutes assez chouettes.
Et puis à partir de là commence la douche froide.
Il a juste suffi que Grégoire Ludig se mette à parler pour que la révélation s’accomplisse.
…Pour que déjà le bruit de la sale bestiole se fasse entendre.
Alors OK, visiblement ce film a fait marrer quelques personnes.
C’est en tout cas ce que laissent entendre les quelques premiers retours présents sur le site.
Tant mieux pour eux. Il en faut pour tout le monde.
Mais moi j’avoue que ce genre d’humour là, ça me laisse totalement sur la touche.
Voir Ludig jouer le demeuré à la « Dumb & Dumber » ou bien à la « Eh mec ! Elle est où ma caisse ? » ça me laisse clairement dubitatif, et c’est peu dire.
Et d’ailleurs, plus que le ton, c’est surtout le contenu qui m’a laissé coi.
Que la situation comique ne repose en tout et pour tout que sur le seul fait que le mec ne comprenne rien, c’est quand même le niveau zéro de créativité.
« Tu as compris ? Il faut que tu amènes cette mallette en voiture d’un point A à un point B…
– Et pourquoi tu veux que j’y aille en voiture ? (Air niais.)
– C’est le contrat. C’est comme ça.
– Et pourquoi pas y aller à pied ? C’est plus simple non ?
– Mais imbécile ! C’est pour qu’on ne te voit pas avec la malette à la main !
– Ah ouais ouais ouais… (Air super niais.)
– Quand tu donneras la mallette, le gars te donnera 500 euros. C’est pour toi, moi je ne te prends même pas de commission dessus.
– Ah ouais ! (Grand sourire bête.) Ah c’est sympa…
– Mais je compte sur toi. Une voiture avec un coffre !
– Ouais ouais… Tu peux compter sur moi. (Air extatique.) »
Je ne sais pas vous, mais moi, face à ce genre d’échange (échange qui, dans le film, s’étale bien plus) j’avoue n’avoir jamais été pris à contrepied.
Je n’ai ressenti aucune rupture. Aucun décalage. Aucune absurdité.
J’ai juste vu un mec bête. Et pénible par-dessus le marché.
C’était…
…creux.
Et malheureusement tout le film est comme ça.
En tout et (presque) pour tout, le seul truc surprenant et absurde qui survient dans ce film est l’élément qui est présent sur l’affiche : la grosse mouche.
Au-delà de cet élément-là : rien. C’est juste Ludig qui fait le demeuré et qui va retrouver son pote Marsais qui fait lui aussi le demeuré.
C’est surjoué au possible. C’est lourd.
Tous les instants sur surappuyés, répétés, commentés… Comme ce moment où ils découvrent cette mouche par exemple.
Le « t’as pas entendu un bruit ? » est étendu ad nauseam sans aucune autre plus-value.
Et tout s’étire comme ça jusque dans l’usure.
Les effets comiques amenés se répètent et se répètent encore, manquant cruellement de créativité.
Pire, ces effets sont même carrément exaspérants. Horripilants. Voire franchement gênants tant ils reposent sur de l’humour bas-de-gamme.
(Tout le trip autour d’Adèle Exarchopoulos qui ne sait parler qu’en hurlant, ça m’a juste fatigué. J’avais envie de l’abattre, voire qu’on m’abatte.)
C’est terrible à dire, mais pour moi ce film a juste été un calvaire.
Une souffrance.
J’ai passé toute la seconde moitié du film à envoyer des SMS à l’aide à un ami qui m’avait pourtant prévenu.
Et il m’a répondu : « je t’avais prévenu. »
Alors voilà.
Maintenant vous êtes prévenus aussi.
J’ai fait ma part.
Vous ne viendrez pas vous plaindre.
En espérant juste pour ma part que, pour son prochain film, l’ami Dupieux sera me faire rebasculer de l’autre côté de la barrière : celui où je me marre et où je prends du bon temps.
Mais bon, juste histoire d’anticiper un peu le coup, un petit message perso pour notre cher Mister Oizo : « Pitié, la prochaine fois, tes potes du Palmashow, tu les abandonnes au bistrot… »