Il aura fallu presque 10 ans à Damián Szifrón pour revenir. Mais de bien belle manière !
Après Les Nouveaux Sauvages où il écrasait et faisait éclater avec humour ses personnages sous différentes pressions inhérentes à la société, le réalisateur argentin nous plonge avec To catch a killer (justement renommé Misanthrope) dans un thriller à l'urgence constante, aux personnages marquants, dans lequel un trio d'enquêteurs s'affairent à arrêter un tueur de masse, malgré tous les obstacles politiques et sociétaux qui jalonneront leur enquête.
Dès les premières minutes, Misanthrope est une morsure, celle d'un animal enragé bien décidé à ne jamais relâcher sa proie. Le film s'ouvre sur la liesse d'un soir de nouvel an dans le centre ville de la tristement célèbre pour sa criminalité ville de Baltimore. Une population aisée se noit dans les rires entre roof-top, jacuzzis et appartements luxueux. Tous s'apprêtent à sauter à pieds joints dans une nouvelle année au milieu des détonations des feux d'artifices et des tirs furtifs d'un sniper implacable. La surprise est totale, le contraste saisissant, l'action presque irréelle. Très rapidement, la police réagit et on entre dans les circonstances du drame. La mise en scène est virtuose, impactante, les choix de Damián Szifrón ne sont jamais anodins mais j'y reviendrais plus tard. Se lance alors un thriller haletant, une enquête à la résolution urgente pour plusieurs raisons, bonnes et mauvaises, qui ne faiblira jamais jusqu'à sa conclusion.
Appuyé par le duo d'enquêteurs que forment Geoffrey Lammark (Ben Mendelsohn), agent reconnu et vétéran du FBI, et Eleanor Falco (Shailene Woodley), policière écorchée-vive aux compétences avérées face au caractère exceptionnel de la situation, cette traque déjà complexe est constamment lestée des affres du pouvoir et du système à mesure que l'on s'immisce dans les motivations du tueur.
Et c'est là toute l'intelligence de Szifrón dans ses choix que je mentionnais précédemment : face à un monde dans lequel la traqueuse et le traqué ne se reconnaissent pas, un monde qu'ils ne comprennent pas mais qu'ils endurent, le réalisateur offre deux visions, deux manières différentes de réagir. L'une se punit, montre ses bras et s'isole en nageant jusqu'à l'épuisement, l'autre punit, froidement. Et derrière le thriller, c'est toute une société qui brille par ses incohérences et ses défaillances. D'une clocharde qui ne souhaite qu'abuser de la chaleur d'un restaurant à un maquillage de la vérité pour protéger les incompétences de personnes hauts-placées, d'une erreur de jugement dramatique due à la pression sociale à des "likes" et des chaînes de télévisions , d'une décharge à ciel ouvert où le tri sélectif ne devient qu'une vaste mauvaise blague à un abattoir, du racisme au port d'armes, le récit se trouve jalonné des raisons d'une colère constante et de l'horreur initiale. Si bien qu'au terme de cette enquête éprouvante, personne ne sort vainqueur et le spectateur se retrouve pris en otage de ce qu'il ne peut nier, à la manière de ce qu'avait diaboliquement proposé Olivier Norek avec Impact.
Seule ombre à ce tableau déjà bien désabusé, la confrontation finale inévitable et les mots échangés durant celle-ci qu'on aurait aimé plus profonds, plus percutants, à la hauteur de tous les malaises saupoudrés jusque là, comme on sut le faire avant un Seven ou un Silence des agneaux.
Mais on ne va pas bouder son plaisir. Son intensité, son rythme, ses acteurs, sa virtuosité et son propos placent inévitablement Misanthrope dans les meilleurs films de 2023, voir même dans les meilleurs thrillers de ces dernières années. Un film maîtrisé de bout en bout, intelligent, tendu, qui une fois terminé n'a pas fini son office et trotte dans nos têtes pendant encore quelques heures.