Porté par la partition musicale lancinante de Carter Burwell, To Catch a Killer est avant toute chose un grand film d’atmosphère, qui s’intéresse à l’espace urbain composé de buildings glacés que traversent les personnages sans se retourner, dans une précipitation certaine, résultat de leur métier et d’un sentiment tenace d’insécurité. La façon qu’a Damián Szifrón de placer sa caméra au niveau du sol pour capter la démesure américaine, comme autant de murs entourant les individus – qu’il cassera lors d’une clausule rurale faite d’un plateau agricole –, n’a d’égale que l’inversion du haut et du bas, au sens propre et figuré. L’agent Eleanor Falco court en pleine rue, monte les escaliers pendant que l’alarme retentit, parcourt les couloirs encombrés et pénètre dans l’appartement enfumé sans disposer du masque ou du souffle nécessaire ; s’ensuit une scène double, soit la projection onirique d’abord puis le retour à la réalité, décevante, qui ramène notre protagoniste et notre récit au niveau du sol, invalidant aussitôt l’effort accompli. L’enquête refuse d’ailleurs de se gonfler artificiellement, écarte le jeu de pistes en multipliant les sources erronées, notamment les écrans sur lesquels se met en place une chasse à l’homme sous la forme de théories complotistes, d’interviews futiles et de considérations psychologiques.
L’action s’accomplit par la communication, tantôt verbale tantôt physique – en témoigne les nombreuses réunions au cours desquelles l’agent Lammark retient une parole malheureuse pour signer, malgré lui, un document pouvant porter préjudice à l’investigation –, ce que le cinéaste transcrit par une attention portée à la direction d’acteurs et à l’écriture d’un scénario jamais psychologisant. Nous retrouvons là l’originalité du long métrage : atmosphérique, il l’est aussi par la caractérisation volatile de ses personnages, en particulier le duo principal, qui échappe aux attributions attendues dans le polar – l’homosexualité de l’agent spécial ne constitue jamais une thématique, écueil pénible et pourtant habituel, mais une réalité vécue et acceptée en soi. Le titre repose bien sur le verbe « to catch », c’est-à-dire « attraper », posant d’emblée la fuite et l’insaisissabilité comme partis pris essentiels d’un film rigoureusement pensé et réalisé, regard important sur la faillite contemporaine des idéaux communautaires au profit d’une misanthropie terroriste.