Au début, on craint d'avoir affaire à un long clip délirant sur l'univers des drogués et sur les effets des drogues. Mais c'est bien plus et bien mieux que cela, cinématographiquement et sociologiquement parlant. Même s'il cède parfois à une certaine surenchère visuelle, Darren Aronofsky (dont c'était le deuxième long-métrage, après Pi) propose une expérience cohérente pour transcrire l'expérience vécue par les personnages principaux. Un very bad trip servi par un montage parfois syncopé ou fragmenté (split screen), des angles de vue renversants, des gros plans terrifiants, des accélérations folles et autres mises en scène de visions cauchemardesques. Ce very bad trip est d'autant plus efficace et impressionnant qu'il monte en vitesse de narration (elliptique à certains moments) et en puissance dramatique au fil du film. Ça met sur les nerfs et ça crée un vrai malaise. Mais surtout, le réalisateur a su traduire à l'écran la substance de l'univers littéraire de Hubert Selby Jr., bien aidé en cela par la collaboration de l'écrivain qui cosigne le scénario adapté de son roman éponyme (et qui fait une apparition dans le film, en gardien de prison hilare). On retrouve ainsi le lyrisme décadent et trash de l'auteur, cette façon d'embarquer le lecteur (ou le spectateur) dans un récit qui prend aux tripes, génère un profond dégoût en même temps qu'un insondable sentiment de pitié. Au-delà de son caractère cru, ce film est pétri d'une compassion touchante. Compassion pour une Amérique de l'ombre, une Amérique des petites gens qui cherchent désespérément des moyens de rêver ou des raisons d'être. Que cela passe par l'absorption de drogues, pour les trois jeunes personnages centraux, ou par l'obsession de passer à la télévision, pour la mère du personnage de Harry. Autant de personnages pris au piège d'une société de consommation qui les rend dépendants à tout : drogues, télévision, mais aussi bouffe grasse, médocs... Requiem for a Dream offre une plongée stupéfiante dans cet univers d'addictions multiples, d'aliénations, et dépasse donc l'exercice de style gratuit pour sonder les obsessions pathétiques et les rêves brisés d'une société moderne qui se détraque de l'intérieur. Ce film monstre, dont la noirceur laisse un peu meurtri, doit enfin beaucoup à ses acteurs : Jared Leto et Jennifer Connelly, beaux et fragiles, émouvants dans leurs errances et dérives ; et surtout Ellen Burstyn (la mère), dans le rôle le plus halluciné et hallucinant de sa carrière...