Crevons l'abscès d'emblée: oui, ce "Speak No Evil" version US est bien ce type de remake dont l'existence est uniquement le fruit d'une aversion d'une majorité de spectateurs américains pour des productions étrangères où il leur faudrait lire des sous-titres sur un écran. Le film originel de Christian Tafdrup avait beau être excellent en soi et nullement avoir besoin d'être "perfectionné" par une nouvelle vision, le fait est que l'on se retrouve aujourd'hui, uniquement par caprice de ce public, avec ce pendant anglo-saxon réalisé par James Watkins ("Eden Lake", "La Dame en Noir").
Mais, heureusement, là où, la plupart du temps, ce genre de projet en reste à de bêtes copier-coller perdant l'âme de leurs modèles, "Speak No Evil" est un remake réussi et plus malin que la moyenne par certains de ses choix.
Bon, on ne reviendra pas sur la globalité du propos de "laisser faire", de la paralysie imposée par certaines muselières sociales mise à mal par l'opposition de ses deux couples vedettes, toujours ici vecteur d'un malaise diffus et reprenant de près ou de loin la plupart des moments forts du long-métrage de Christian Tafdrup (on vous renvoie d'ailleurs à notre critique sur celui-ci pour plus de détails).
Mais ne craignez pas d'être en territoire complètement familier si vous avez visionné et apprécié comme nous ce dernier, "Speak No Evil" US a la bonne idée d'offrir des petits développements supplémentaires inattendus, comme des coups de coude complices à ceux adeptes de la version danoise, avec certes plus ou moins de succès parfois mais toujours dans l'optique d'offrir un spectacle dépourvu de tout ennui.
Bon, on commencera évidemment par saluer la qualité de sa distribution, avec un monumental James McAvoy, supplantant même la prestation de son homologue Fedja van Huêt par la perversion qui émane de sa réinterprétation, et une McKenzie Davis qui, en bénéficiant de facettes supplémentaires, s'impose en tête forte du couple victime. Sur ce dernier point, et c'est sans doute un ajout majeur pas des plus inintéressants, "Speak No Evil" crée en effet une scission intime bien plus prononcée chez ce couple "innocent", moins équilibré qu'auparavant, pour renforcer leur différence quant à la manière d'approcher le comportement ambivalent de leurs hôtes.
Outre un point de départ vacancier plus étendu (l'idée pour contourner la différence de pays du premier entre les couples sans amoindrir la disparité de ce qu'ils représentent chacun socialement est plutôt bien trouvée), une relation entre les enfants plus approfondie pour devenir un (peut-être trop facile et explicite) fil rouge révélateur de ce qui cache vraiment derrière les apparences ou encore quelques petites trouvailles ici et là en vue d'amplifier le malaise régnant (un rajout à la séquence du restaurant est particulièrement bien senti en ce sens), c'est bien sûr la dernière partie de ce "Speak No Evil" qui risque de cliver par sa direction totalement différente de l'original.
Là où le nihilisme nordique avait fait des merveilles pour emmener le discours du film danois vers des retranchements jusqu'au-boutistes d'une noirceur infinie, la version de James Watkins correspond, elle, à des standards -comme on pouvait s'y attendre- bien plus americanisés. Se présentant sous la forme d'un grand affrontement final de survival lambda, "Speak No Evil" US va choisir d'offrir des chances à ses personnages victimes de se racheter une conduite dans l'action. Une voie bien plus éclairée que son modèle, hélas convenue et propre au cinéma américain, mais dans laquelle James Watkins laisse néanmoins éclater son savoir-faire derrière la caméra pour, il faut bien le reconnaître, un climax efficace, au rythme haletant et ponctué de très bons mini-rebondissements dans cette confrontation désormais devenue littérale vis-à-vis de ses aspérités les plus violentes.
En dépit de ce dernier acte qui divisera sûrement le plus (on est team nordique là-dessus), "Speak No Evil" US fait donc partie de ces remakes qui valent le coup d'oeil, que vous soyez ou non connaisseurs du matériau d'origine. Par ses qualités, il constitue même une très bonne porte d'entrée à lui tout seul à ce récit et aux lames de fond sociétales qu'il s'amuse à faire remonter à la surface. Et, ne serait-ce que pour la prestation possédée de McAvoy, il trouve là une de ses meilleures raisons d'être.