Un nouveau film de Gaspar Noé est toujours un évènement pour moi : ce type n’a jamais cessé de me surprendre à chacun de ses « méfaits ». Alors inutile de dire que j’attendais son "Climax" avec une certaine impatience…alors de quoi ça parle "Climax" ? Bin tout simplement d’une bande de jeunes danseurs professionnels tout juste sélectionnés pour aller faire un spectacle aux USA : ces derniers viennent d’achever leur dernière semaine de répétition et organisent une grande teuf pour célébrer leur départ prochain. Vous trouvez ça simpliste et d’une banalité affligeante ? Que nenni mes amis, nous sommes bien dans un film de Noé : sous l’apparence innocente d’une situation de rêve et suite à un évènement précis, c’est bien à un terrible cauchemar psychédélique auquel nous allons assister. La première chose qui saute aux yeux après visionnage du film, c’est que "Climax" est certainement le film de la maturité pour Noé tant ce dernier représente une sorte de « Maxi Best Of » du réalisateur italo-argentin, qu’il s’agisse de sa conception de la mise en scène ou des thèmes qui l’intéresse et qu’il a déjà abordé dans ses précédents films : les sentiments et les pulsions sexuelles ("Love"), le rêve français et le vivre-ensemble ("Carne"), la sauvagerie et les lieux confinés ("Irréversible"), les expérimentations , la vie/la mort et la métaphysique ("Enter The Void"). On retrouve encore une fois une narration déstructurée que Noé adore tant : le film commence par la dernière scène suivie directement du générique de fin, ensuite nous avons droit à une sorte d’introduction en style documentaire avant de voir enfin le récit principal qui sera partagé en deux actes délimités par l’apparition des noms des acteurs et de l'équipe technique suivis d’une succession de scénettes en jumpcuts…le du titre du métrage n'apparaît alors que dans les toutes dernières secondes de ce dernier : du pur Noé ! Et la force première du métrage est justement ces deux actes qui sont incroyablement filmés par plan-séquences d’une virtuosité hallucinante ! Ah c’est sûr que notre ami se fait plaisir : la caméra semble voler autour de nos héros tel une âme en peine lors de la longue performance artistique dansée en temps réel. Chaque mouvement semble accompagner la chorégraphie et les différentes trajectoires prises par les danseurs, défiant toute notion d’apesanteur et de vertige, aboutissant à un formidable ballet totalement hypnotisant et assourdissant (au passage, la bande son est absolument démente : Cerrone, Giorgio Moroder, Soft Cell, Daft Punk, Patrick Hernandez, Aphex Twin, Chris Carter, Dopplereffekt). Quand au second acte, la caméra continue de virevolter dans cet espace en huis clos composé simplement d’une salle de danse et d’un dortoir reliés par un long couloir absolument lugubre, tout en s’approchant extrêmement des personnages. Une sensation d’étouffement se fait alors ressentir tandis que les éclairages varient en temps réel, reflétant l’état psychologique de la personne suivie. Toute cette seconde partie est hautement anxiogène, l’effervescence ayant laissé place au malaise, et nous apparaît alors comme un film d’horreur sous acide, une longue descente aux enfers dont la conclusion ne peut être que tragique. Noé semble donc nous démontrer le paradoxe entre les individualités et la vie en groupe. En effet, d’un côté nous avons un groupe de personnes réunis par le biais de leur passion commune qui nous apparaissent comme une allégorie de la France multiculturelle (ils ont tous des origines différentes, une couleur de peau différente, des cultures différentes et des orientations sexuelles différentes), allégorie soutenue par
l‘énorme drapeau français à paillettes accroché au mur de la salle et par le carton d’amorce « Un film français et fier de l’être »
. De l’autre côté nous avons un projet commun qui demande à chaque membre de la troupe de ne faire qu’un tous ensemble, autrement dit nier ouvertement toute individualité et tout désir particulier. En gros, la danse c’est leur vie, mais danser signifie mourir, ce que souligne remarquablement les deux actes du récit :
dans le premier ils dansent en groupe mais ils sont en vie, dans le second ils s’arrêtent de danser pour redevenir un être unique mais vont finalement mourir petit à petit
. Une belle métaphore de l’existence qui n’est pas sans rappeler le symbole du Yin-Yang. Outre sa réalisation impressionnante, le film nous interloque aussi par le biais de son casting : à part Sofia Boutella qu’on connaît bien ("Atomic Blonde", "Kingsman 1&2", "Star Trek : Sans Limite", "La Momie", "Hotel Artemis"), tous sont des danseurs professionnels dont c’est la première expérience en tant qu’acteur ; pourtant on le ressent absolument pas tant ils paraissent naturels à l’écran (ce qui d’autant plus remarquable que Noé leur a demandé de faire énormément d’improvisation lors des prises !). Ils crèvent tous l’écran et sont remarquables…et Boutella est proprement hallucinante lors du second acte du métrage. Après "Seul contre tous", "Irréversible", "Enter the Void" et "Love", Gaspar Noé nous offre avec "Climax" son film le plus radical, sorte de « Best Of » ultime. Pourtant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, il s’agit aussi de son film le plus accessible. Immersif, hypnotique, trash, malsain, misanthrope et pessimiste, "Climax" est un véritable conte horrifique tutoyant la folie et le nauséeux, une expérience sensorielle extrême qui ne peut laisser personne indifférent. Mon cher Gaspar, c’est quand tu veux pour ta sixième péloche !