Loin d’être le plus apprécié du grand public ou de la presse, Gaspar Noé reste une référence dans le genre de l’insolite et de l’émotionnellement perturbant. En enchaînant les polémiques, son cinéma finit peu à peu de s’ancrer dans une culture ou les passions et la perversion devient son gagne-pain. Il synthétise ici tout ce pour quoi il s’est battu, en suscitant des débats en tout genre. Il souhaitait que l’on en parle, mais plus important, qu’on ressente ce qu’il a créé aussi bien sur le plan esthétique que dans le fond. Il cherche de nouveau la provocation pour enchaîner son public à l’écran et le pari semble suivre les bons rails, ceux des montagnes russes, cachés sous les sièges qui nous bordent peu à peu dans un enfer rouge et blanc.
Se rapprocher du réel passe avant par une proximité étroite avec les personnages. Le film nous familiarise d’entrée avec eux, un a un, justifiant par la même occasion les inspirations du metteur en scène en matière de dramaturgie. La fatalité est une chose que l’on ne peut stopper ni même freiner. La rupture avec le théâtral est de rigueur et on l’apprend toujours à nos dépens, pas avant. Si tout ce spectacle vicieux fonctionne aussi bien, c’est grâce à l’inertie. Le mouvement transcende le vertige qui s’empare rapidement de nous. Il nous envoûte, il nous possède par la danse, qui illustre le partage, l’harmonie, la justesse et le contrôle. Cette note joyeuse fera facilement contraste avec ce qui suit, car les péripéties viendront démembrer toutes les qualités qu’on peut tirer de cette performance. La contorsion aura également son mot à dire, car elle peut aussi bien refléter un état d’esprit emprisonné dans sa cage inconfortable, comme si on se débat pour s’en défaire. Mais quelle est donc cette cage ? L’alcool, la drogue ? Non, c’est l’humain et les relations incompatibles qui en sont la cause.
Équipé d’une caméra organique, on s’engouffre lentement puis soudainement dans une parade névrotique où la folie et la vérité s’expriment pour bousculer des personnages qui n’avaient rien demandé. Pas horrifique, juste malaisant, le jeu de piste n’aurait aucun sens avec un scénario aussi faible et un script majoritairement improvisé. Le sentiment de liberté est perpétuellement recherché, car on s’étouffe et on partage la douleur mentale des personnages. Quasiment en temps réel le calvaire est long, patient et bruyant. Si la composition de l’image est pauvre afin de générer une ambiance claustrophobique, celle du son est très généreuse et insuffle cette détresse permanente qui nous pousse consciemment vers l’extérieur afin qu’on caractérise ce qui se passe à l’écran. Le spectateur est impuissant face à tant de haine et de décisions maladroites ne rimant pas avec cohabitation, mais davantage avec coexistence éphémère.
Ainsi, « Climax » concrétise un mélange subtil des œuvres précédentes de Noé. Entre la descente verticale, le cadre tournant, les discours moraux dispatchés en acte et es plan-séquences traumatisants, le réalisateur met un accent sur ses exercices de styles, là où « son public » l’attendait. Nous pourrions croire à une apaisante virée, sachant ce qu’il a pu réaliser auparavant. Cependant, il serait judicieux de considérer la justesse de ce carnaval de mise en scène qui fonctionne sous plusieurs angles de lecture. À la fois traumatisante et éducative, la comparaison possède une volonté de sensibilisation qui résonne derrière ce projet farfelu, rushé et pourtant cohérent avec son professionnalisme. Orgistral comme jamais, Noé mène le chaos et la danse avec une énergie bienveillante.