Il ne dure que 80 minutes, le film d’animation de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, mais c’est 80 minutes en enfer ! Si chacun à son enfer personnel, alors Kaboul sous les Talibans est assez proche du mien : pas de livres, pas de cinéma, pas de musique, pas de libre-arbitre, pas d’instruction, des femmes emprisonnées sous un morceau de tissu, des hommes terrorisés par la police religieuse, où tout espoir d'un lendemain meilleur est chimérique. 80 minutes dans cet enfer là, c’est déjà beaucoup mais le déplacement vaut amplement le coup. Voilà un film d’animation original déjà dans sa forme. Breitman et Gobbé-Mévellec ont fait le choix étonnant de l’aquarelle et je crois que c’est la première fois que je vous un film d’animation à l’aquarelle. Il ne faut pas longtemps avant de comprendre que c’est la toute première bonne idée du film, le rendu est un peu irréel, comme si on était un peu dans un rêve, ou plutôt un cauchemar. Ca pourrait être un choix artistique anecdotique, or je pense que ça ne l’est pas du tout. Du numérique ou des dessins types « mangas » à la place n’auraient pas apporté la force qu’apportent ces formes ouatés, sans lignes claires, où les touches de couleurs suffisent à créer une ambiance. C’est un film d’animation esthétiquement très beau, il faut commencer par dire cela. Il y a un petit peu de musique, parfois une musique qui sort des autoradios ou des magnétophones mais c’est rare puisque la musique est interdite. Le film passe très bien car il n’est pas très bavard, pas grandiloquent, pas pontifiant. Pas besoin d’en faire des tonnes pour faire passer l’horreur à l’écran, des gamins qui balancent des ballons dans des buts où pendent des potences et tout est dit. Il y a au début du film une scène de lapidation évidemment insupportable, heureusement filmée de la manière la plus pudique possible. Mais a part cette scène de début et la scène de fin dans le stade, peu de violence physique à l’écran. Par contre, que de violences psychologiques dans les propos et les attitudes ! Le travail des acteurs qui donnent leur voix aux personnages est remarquable, de Simon Abkarian, à Zita Hanrot (dans tous les bons coups du moment, Zita !), de Swann Arlaud à Pascal Elbé. L’intensité de leur interprétation couplée à la magie des aquarelles fonctionnent parfaitement. Le film est l’adaptation du roman éponyme de Yasmina Khadra, je ne l’ai pas lu alors je ne vais pas évoquer la qualité et la fidélité de l’adaptation. Quand on ne connait pas l’intrigue au départ, on met un certain temps à comprendre où l’histoire va nous emmener. On croit que le personnage du jeune mari Mohsen, qui veut redevenir professeur d’Histoire dans une école secrète, va être au centre de l’intrigue. Mais vers le milieu du film, son destin bascule et l’on comprend assez vite vers quelle fin on se dirige. C’est une fin magnifique, je dois dire, une fin d’autant plus belle que le contexte est laid. Le film est une ode à l’espoir, à la rédemption, au sacrifice aussi. C’est difficile de ne pas avoir les larmes aux yeux lors des scènes finales, qui sont autant belles sur le fond que sobres dans leur forme. « Les Hirondelles de Kaboul », ces oiseaux omniprésents dans le ciel afghan, ce sont aussi ces femmes en burka, interchangeables, à qui on dénie la liberté primaire d’avoir une identité. Les imbéciles qui les emprisonnent les jugent, les condamnent, les répudient ou les lapident ne peuvent finalement pas emprisonner, juger, condamner, répudier ou lapider leur âmes, ils disposent de leur vie, de leur corps, de leur mort mais pas de ce qu’elles sont au fond d’elles, dans leur cerveaux, dans leur rêves, sur ça ils n’ont aucune prise et j’imagine que ça les rends fous ! Dans le film, comme dans le roman j’imagine, ces imbéciles là sont dupés par leurs propres bêtises, c’est ironique, c’est une lueur d’espoir aussi : l’intelligence l’emporte toujours, les idiots ne l’emportent jamais. « Les Hirondelles de Kaboul » est un film magnifique dans la forme comme sur le fond, une histoire (d’amour) toute simple mais sublime, qui en dit plus long sur le régime des Talibans et sur l’Afghanistan que tous les discours. Allez-y, recommandez-le, conseillez-le, les séances de cinéma de cette qualité sont aussi rares que précieuses.